Notes silencieuses est un essai qui se partage entre analyse et écriture. Ici le silence est envisagé comme une modalité du langage. Sur ce paradoxe apparent repose l'énigme de la pensée, de la parole et de la création littéraire. Pascal Gibourg explore cette énigme, mettant au jour trois formes de silence : éthique, esthétique et spirituel. Chacun d'eux est en prise avec une exigence de traduction, au sens large du terme, traduction d'une langue vers une autre aussi bien que passage du silence vers l'expression. Au fil de quarante stations se révèlent peu à peu les différents thèmes du livre, allant de l'altérité à la mélancolie. De quoi permettre à cet essai sensible et intime de mêler librement références philosophiques (Foucault, Agamben, Deleuze) et références littéraires (Moresco, Dillard, Vesaas). Le tout suivi de La littérature en instance, dont il n'existait jusque-là qu'une version numérique. Trois textes consacrés à l'expérience littéraire où l'on croise notamment le nom de Marguerite Duras.
Visage rimbaldien, destin romantique, culture sur les marges, écriture de l'affrontement : tout a prêté, en un temps "fin de siècle" de réaction, de démenti et de disparition, à cette édification soudaine d'un mythe dont un homme et une oeuvre, surtout, éprouvent d'infinies difficultés à se démettre. Brutalement, sous les diverses formes de l'indexation au répertoire, de l'héritage, du recyclage, l'oeuvre fut récupérée au nom édulcoré de sa révolte même. Curieusement, alors qu'il est ainsi adulé par le public théâtral, les comédiens et les metteurs en scène, les étudiants, les jeunes, en France et encore davantage à l'étranger, l'auteur reste plutôt ignoré du milieu proprement littéraire. L'étonnante étanchéité contemporaine de la pensée et de la scène n'explique pas tout. De ce clivage entre le mythe et l'ignorance, il importe de finir rapidement. Contrer la rareté du livre critique et l'abondance spectaculaire des revues (leur côté parade), désenclaver l'oeuvre de Koltès d'une analyse presque exclusivement dramaturgique (ou d'une approche outrancièrement testimoniale), en élargir le champ référentiel, en faire valoir la tension poétique et la portée philosophique, permettre ainsi une ouverture de la lecture, toujours propice à la diversification des créations scéniques, telle est donc l'ambition avouée de cet essai.
A l'instigation de François Bon qui venait de fonder la maison Publie.net, j'ai réuni plusieurs textes consacrés au long des années à Paul Gauguin, à la croisée de sa vie et d'une oeuvre qui est aussi littéraire : outre son abondante correspondance, Gauguin est un mémorialiste et un pamphlétaire remarquable, dont l'écriture âpre et rugueuse danse face au lecteur comme les jambes du boxeur sur le ring.
Le titre donné à cet ensemble de textes relevant de genres différents (la fiction biographique à travers un feuilleton radiophonique, l'essai critique ou la « lecture d'image ») est une invitation à le lire comme un chantier destiné à rester ouvert. L'oeuvre du peintre qui revendiquait « le droit de tout oser » et affirmait avoir « voulu vouloir » est suffisamment entêtante pour qu'on y revienne sans cesse. Elle est de celles où l'on puise énergie et lumière, cette lumière si particulière qui faisait dire à Mallarmé, face aux premières toiles tahitiennes, qu'il est extraordinaire de générer « tant de mystère dans tant d'éclat ».
L'oeuvre d'Antoine Volodine est l'une des plus vastes et singulières du paysage contemporain.
L'originalité de l'approche de Pascal Gibourg est d'interroger le travail de Volodine depuis sa mise en écriture et sa cristallisation dans le fantastique, pour questionner ensuite les liens existant entre la politique, le chamanisme et l'amour.
Cet essai sur les fables de Volodine nous mène au lieu où le porte-voix du post-exotisme raconte, construit un univers qui n'existe que par notre accord préalable de lecteur.
Nous conduisant dans les arcanes les plus centrales du travail de cet auteur foisonnant, ce texte nous le présente dans sa perspective et son organisation. Il nous donne des pistes pour nous y aventurer et introduit une réflexion sur l'art d'écrire : là où Volodine interroge la littérature elle-même.
Comment aborder une oeuvre qui rassemble en trois tomes Pleiade presque soixante-dix ans de publications imbriquees, se refusant, entre la poesie, le fantastique, les experiences sur le reve et la drogue, a tout enfermement de genre ?
Pascal Gibourg n'aborde pas Michaux en theoricien, en poseur d'etiquettes, mais par des traversees obliques, toutes orientees par les lignes de force propres a l'oeuvre, qu'on decouvre soudain nous entourant de partout, proche et terri que a la fois. Non pas Michaux disseque, ecartele, vu depuis l'univers des lettres ou traite en tant que poete mais Michaux saisit la ou l'experience et les apories de la vie suscitent le langage.
Alors presque un portrait puzzle, la facon de Michaux de se porter aux limites, et forcement la rencontre des noeuds essentiels de son ecriture, de son parcours, presque une prise de reperes ou les noms d'Octavio Paz au debut de l'essai a Francois Cheng tout a la fin sont aussi une rupture avec le poete statufie.
Le soleil bleu s'était déjà perdu derrière les montagnes du couchant. Le soleil rouge penche aussi vers ce point, tombeau de toutes les lumières des cieux. Pour cette terre, pour ces lieux toujours ruisselants de clarté, c'était presque la nuit, mais la nuit douce, tropicale et chatoyante. Si vous levez les yeux au ciel, peut-être apercevrez-vous du côté de la constellation de Cassiopée, un étrange scintillement... la planète Star... Voici le premier véritable space opera, tombé dans l'oubli et redécouvert par Raymond Queneau, un livre total qui présente l'ensemble de l'univers starien : son système stellaire, sa faune et sa flore, ses satellites, son histoire ancienne et celle de ses civilisations, ravagées par une forme de peste et par des égorgeurs fanatiques. Grâce à l'invention de l'abare, un vaisseau spatial, et sous la conduite de Ramzuel, les Stariens quittent alors la planète mère pour ses satellites. De leur exploration naît la recolonisation de Star menée par les Néo-Stariens et le voyage d'un Tassulien (habitant de l'un des satellites de Star) dans la ville de Tasbar. Le tout est entrecoupé de pièces de la littérature starienne qui forment un ensemble poétique et théâtral extraterrestre inédit. L'histoire d'une planète sur laquelle brillent quatre soleils, de ses cinq satellites et de leurs habitants, de vaisseaux voyageant entre ces astres, de civilisations qui naissent, se développent, meurent, renaissent, fondant une fédération interplanétaire et créant une culture et une littérature extra-terrestres. Star ou de Cassiopée est une oeuvre étrange, poétique et protéiforme, un voyage onirique vers un monde lointain.
Ce livre réunit un certain nombre d'essais écrits durant plus de deux décennies (1991-2014). Ils accompagnent un chemin d'écriture qui, depuis une quarantaine d'années tente difficilement, fragmentairement, de prendre conscience de lui-même dans l'après-coup du regard jeté en arrière ou dans l'accompagnement d'un certain nombre d'oeuvres aimées. Ces textes ont tous en commun d'être traversés par une interrogation insistante qui, depuis Don Quichotte, est celle de toute entreprise littéraire : qu'en est-il des rapports de l'écriture et du réel ? Laquelle ne peut engendrer que d'autres interrogations ou quelques réponses provisoires et toutes plus ou moins formulées ici ou là depuis longtemps déjà. Ce qui ne dispense personne d'essayer de les reformuler à son tour et à sa manière. "Tout ce qu'on a pensé d'intelligent, écrit Goethe, on l'a déjà pensé ; ce qui nous reste à faire, c'est de le penser de nouveau.".
Il est totalement ridicule de considérer que désormais la connaissance et l'ensemble des savoirs sont directement en accès libre et qu'il n'y aurait plus qu'à s'y plonger à l'envi. Nous avons d'autant plus besoin de maîtres dans ce libre accès que nous sommes passés de l'arbre au labyrinthe, d'un monde où les savoirs étaient classés et contrôlés par des autorités traditionnelles à de nouveaux mécanismes. Il ne s'agit pas de juger négativement les évolutions en cours, mais de veiller à ce que les clefs d'accès soient conférées au plus grand nombre afin que l'accès technique soit corrélé avec l'accès intellectuel. En ligne, faut-il être partout ? Quel type de réseaux sociaux faut-il privilégier ? Quelle présence régulière ? Quels buts ? Comment s'armer face aux bouleversements des mondes connectés ? Plusieurs pistes dans cet ouvrage de référence pour devenir maître d'armes des réseaux.
Il ne faut pas mésestimer le poids des notes dans le parcours d'un écrivain. Qu'il s'agisse d'essais, de préfaces ou de chroniques, ces textes parallèles esquissés le long de l'oeuvre en cours en disent long sur la circonférence de ses lectures, et donc sur sa profondeur de champ. En somme, les auteurs que l'on porte en soi façonnent autant notre réalité que notre environnement direct ou notre histoire personnelle.
Dans le premier opus de son cycle critique L'amitié des voix, Jacques Ancet réunit moins un panthéon d'auteurs qu'une colonne vertébrale, nécessairement subjective, d'oeuvres ayant soutenu sa voie : une géographie de préférences personnelles qui s'étend sur près de quarante ans. Car on n'écrit pas sans l'autre, et dresser la carte de ses voix d'écriture, c'est livrer un peu de soi-même.
Pour ce volume, à travers les siècles, nous suivons un sillon majoritairement franco-hispanique qui va de Cervantes à Claude Simon via Quevedo, Mallarmé ou Maria Zambrano, sans oublier Borges. Quant à savoir qui s'exprime en marge de ces textes, c'est à la fois le poète, l'écrivain, le professeur, le lecteur, le traducteur, tant tout est intriqué dans l'acte littéraire.
Bernard-Marie Koltès est mort en avril 1989. Vingt ans plus tard, le bousculement qu'il inaugure agit non seulement sur l'univers du théâtre, mais l'ensemble du territoire romanesque.
Bousculement de la représentation, bousculement de contenus et de formes : toute une pièce dans un échange de regards, et la haute phrase des villes confiée à la nuit et à ceux qui la hantent.
Et le travail d'Arnaud Maisetti, entre fiction et théorie, entre livre et web, croise intimement cette recherche d'une prose lyrique, en prise avec la ville et sa nuit, hantée des voix qui en marquent la quête. Son siteArnaudMaisetti.net témoigne de ces pans différents de recherche, et comment ils se complètent.
Seul comme on ne peut pas le dire est la première monographie exclusivement consacrée à l'oeuvre de naissance de Bernard-Marie Koltès, le célèbre soliloque La Nuit juste avant les forêts. Ce livre en présente les différentes strates et composantes du bref mais fulgurant texte de Koltès. Il le resitue dans sa genèse, dans ses enjeux de théâtre, en examine l'architecture et le fonctionnement narratif (dernier chapitre sur la notion de fugue...).
Et, surtout, Arnaud Maïsetti resitue Koltès dans son champ de tension théorique, et on verra passer les ombres de Derrida et Blanchot, on examinera de très près le lien avec L'expérience intérieure de Bataille. Alors, au rebours presque de Koltès, les habitués de l'oeuvre pourront en faire comme une archéologie théorique, partir à la découverte de ces fissures actives ou sismiques de prose qui ont permis la naissance d'une oeuvre aussi atypique, aussi nécessaire.
Personne pour mettre aujourd'hui en cause l'importance de Robert Frank dans l'histoire récente de la photographie.
Mais lorsque Robert Frank a photographié votre propre mère, enfant, et que c'est l'enquête sur cette photographie qui vous déterminera en partie, plus tard, à devenir vous-même photographe, voilà le double-fond de cet essai.
En suivant les étapes biographiques de la formation de Robert Frank, on le suivra d'abord dans son expérience cinématographique, puis dans son rapport à Kerouac, Amram et Ginsberg lors du mythique Pull my daisy.
Et puis, des utilisations du Polaroid aux premières expériences photo, le travail du grain, de la vitesse (la problématique du flou, liée à l'utilisation de vitesses lentes sur grains très fins), se rétablira peu à peu le geste proprement artistique de Robert Frank et ce qu'il questionne, très loin de la photographie reportage, ou témoignage. Mais dans un geste qui renvoie brutalement au monde, et nous y renouvelle.
Enfin, et jusqu'à sa fin surprenante, cet essai est aussi le chemin de l'auteur vers Robert Frank, à travers les esthétiques du cinéma, de la photographie, et jusque dans les rues de New York, tout en nous familiarisant avec le versant technique sans lequel il n'y a pas d'invention en art.
Nos usages du réseau changent notre rapport à l'identité, à la spatialité, à la documentation et au savoir. Leur implication dans la définition de ce qui nous constitue comme homme est à la fois renouvelée, et ravivée dans ses origines, sa permanence.
Comment, alors, dans ce contexte, lier ces usages qui déplacent notre quotidien à une réflexion de fond sur le monde dont on hérite, et que nous aurons à léguer ?
Thierry Crouzet a publié deux livres amorçant ces réflexions : Le peuple des connecteurs en 2006, Le cinquième pouvoir en 2007 - L'alternative nomadeen est le prolongement dans l'urgence de maintenant.
Comment déplacer notre perception du monde et l'ancrer sur ces notions d'échange et de partage ? Qu'est-ce qui s'en induit pour la société, la culture, et nos pratiques économiques ou artistiques ?
Pas de recette miracle à l'horizon, juste réfléchir, tenter, essayer. Tout au long de L'Alternative nomade, Thierry Crouzet replace les formulations de cette rupture, flux, propulseurs dans une perspective de pensée bien plus ancienne - y compris la culture aborigène...
Aucun de nous n'est indemne de ce que change à notre façon d'être homme le développement des usages numériques. On a le droit de ne pas suivre Crouzet dans toutes ses thèses et idées : mais trop rare ce bonheur d'une pensée ouverte qui réveille et élargit la nôtre.
Les menaces de cette société de la donnée sont à la hauteur de leur puissance, de cette nouvelle compréhension de l'individu et de la société que les données impliquent. Nous sommes entrés dans un monde où notre vie privée est désormais en réseau, où toutes les données sont potentiellement personnelles. Un monde où l'alternative n'est déjà plus de les contenir mais de trouver les moyens de les altérer pour préserver sa vie privée, quand bien même leurs promesses ne seraient pas toutes tenues...
« Mallarme est un poe te qui traite les proble mes pleinement philosophiques du sens, de la ve rite , des possibilite s de l'esprit, mais strictement selon la nature et par les moyens de l'expe rience poe tique. Dans Mallarme , c'est le vers, le lexique, la grammaire, les images, qui constituent la pense e comme philosophique : ses notions et sa proble matique, son discours et sa logique, sa vision des choses et des dieux, son effort et son style. » Re e diter aujourd'hui ce livre paru aux PUF en 1994, c'est saluer une double actualite , celle sans cesse renouvele e des actes de pense e qu'agence la poe sie de Mallarme et celle du regard que Pierre Campion porte sur cette poe sie. Avec rigueur, beaute du style et intelligibilite , celui-ci nous guide dans l'e criture de Mallarme et nous re ve le sa porte e contemporaine, a l'heure d'une longue crise qui en appelle a toute pense e poe tique capable d'esquisser un avenir. Philippe Aigrain