En onze films, Michael Mann a su tracer au sein de l'industrie hollywoodienne une ligne singulière et novatrice. Heat, Révélations, Ali, Collateral, Miami Vice, Public Enemies ont rebattu les cartes du cinéma américain. Quelques plans suffisent pour reconnaître son style : une prédilection pour les univers urbains et cristallins, et en particulier Los Angeles, dont il a su renouveler l'image ; un goût pour les hommes solitaires et concentrés ; une manière de filmer aérienne et contemplative ; une vision du monde contemporain qui allie fascination et mélancolie. Mann se tient comme un funambule, toujours à la lisière du cinéma populaire et de l'expérimentation, comme en témoigne exemplairement Miami Vice.
Né en 1943 à Chicago, Michael Mann apparaît sur la scène en 1981 avec Le Solitaire. En 1984, avec la série Deux flics à Miami qu'il produit et contrôle, il invente l'esthétique des années 1980, une vision clinquante et kitsch, mais aussi très sombre de l'Amérique. Tout au long de sa carrière, Michael Mann ne cessera de revenir à la télévision, jusqu'à Luck, série produite par HBO sur le monde du hippisme, avec Dustin Hoffman.
Longtemps considéré, en France, comme un cinéaste décoratif, il a connu son premier succès avec Le Dernier des Mohicans, en 1992. Comment un cinéaste de la génération du Nouvel Hollywood est-il parvenu à trouver ses marques au sein d'une décennie, les années 1980, qui en constituait la négation ? Que signifie son obsession pour le monde du crime et ces professionnels prêts à tout sacrifier à leur travail ? Comment ses films documentent-ils notre époque ? Chaque film de Mann se concentre sur des mutations économiques, politiques et techniques dont ses personnages deviennent malgré eux les conducteurs. Quels sont ces mirages du contemporain que son cinéma rend sensibles ?
Les sciences sociales ont décrit la modernité et le capitalisme par la rationalité, l'individualisme ou la subjectivité triomphants, la sécularisation et la puissance de l'action, mais pratiquement jamais par l'ennui.
Chose étrange, car l'ennui est partout : à l'usine, comme l'a montré depuis longtemps la sociologie du travail ;
à l'école, c'est même l'une des caractéristiques majeures de l'expérience scolaire ; le dimanche, pendant la messe, ou encore l'après-midi, en famille, en province ; dans les banlieues, qu'il s'agisse des banlieues populaires de France ou des grandes banlieues pavillonnaires de classes moyennes. On s'ennuie aussi devant la télévision, que l'on regarde pourtant pour y échapper. Même le sexe est source d'ennui.
À la fois état d'âme et réalité politique, l'ennui procède de la formation de l'individu, de la conscience qu'il a de lui-même et de ses espoirs, de l'aspiration à être un acteur, de sa singularité et de son invalidation simultanée en raison de la mise à l'écart ou de la domination subie et de la perte de sens. Il est donc profondément lié au fonctionnement social : le pouvoir est la capacité d'imposer l'ennui en privant l'individu d'action. Inscrit dans le fonctionnement des sociétés individualistes, libérales et modernes, il en constitue une critique passive mais radicale, un refus qui porte en lui le dévoilement et la contestation des pouvoirs et des mécanismes de domination. Il met à nu le mensonge de la modernité libérale, qui n'est pas ce qu'elle prétend être : nous sommes floués, dotés de trop d'aspirations ou d'illusions, d'une individualité trop large dans un monde trop étroit, dans une société qui lui assigne un espace restreint et ne lui accorde aucune reconnaissance. Ce livre voudrait donc arracher l'ennui à l'évidence dans laquelle il est tombé, rendre à nouveau visible sa dimension protestataire : c'est à travers sa négativité que peut le mieux s'appréhender la condition moderne.
Jean Narboni a été l'éditeur de « La Chambre claire ».
S'appuyant sur des documents inédits, il retrace une aventure éditoriale et intellectuelle encore mal connue. L'ouvrage propose également deux lectures du texte, l'une dramatique et l'autre théorique, qui viennent l'éclairer d'un jour neuf. Plus largement, « La nuit sera noire et blanche » étudie et repense la relation changeante, contrariée, complexe que, tout au long de son oeuvre, Roland Barthes a entretenue avec le cinéma. » Pourquoi « La Chambre claire », dernier livre de Roland Barthes, parut-il sous triple pavillon, Gallimard, Cahiers du cinéma et Seuil ? Pourquoi est-il organisé en deux fois 24 sections, d'« un jour » à « un soir » ? Quelle logique guida le choix des illustrations, et pourquoi fallait-il que la première d'entre elles soit, seule, en couleurs ? Quel rôle déclencheur y tient le « Casanova » de Fellini, alors même que Barthes décrète d'emblée aimer la photographie « contre » le cinéma ? Qu'est-ce que l'incident de l'Atrium ? Quel drame se joue dans ces pages, et quelle confrontation secrète avec la pensée d'André Bazin ?
Partant du principe qu'« on ne naît pas groupe, on le devient », David Vercauteren examine dans ce livre les conditions de possibilité d'un véritable fonctionnement collectif des groupes militants. Il se dégage ainsi de la problématique macropolitique qui a dominé jusqu'à présent pour se focaliser sur les aspects micropolitiques de groupes envisagés comme des écosystèmes. La question n'est plus : quelle est la finalité d'un groupe, son objet ou son domaine d'intervention ? mais : quel est son impensé ? Comment peut-il dépasser blocages internes et replis identitaires pour renouveler ses usages, savoirs et pratiques ? Et comment peut-il développer une « culture des précédents », une mémoire des réussites et des échecs passés, tout en maintenant intacte l'envie d'expérimenter et de produire des formes inédites ?
À travers une série de « situations-problèmes », qui sont autant d'outils pratiques, ce livre invite les militants à envisager de nouvelles formes d'organisation politique. Mais avant tout, il s'adresse à tout lecteur soucieux de sortir des habitudes psychologisantes et individualisantes dans lesquelles la raison néolibérale voudrait aujourd'hui nous enfermer.
Ces dernières années, plusieurs ouvrages ont été consacrés au néolibéralisme, envisagé tantôt comme un courant de pensée, tantôt comme une idéologie politique, tantôt comme une « rationalité » visant à soumettre l'État, la société et la subjectivité au modèle du marché. Dans ce livre remarquablement pédagogique, David Harvey ne néglige aucun de ces aspects, mais il considère avant tout le néolibéralisme comme un mode d'organisation politico-économique, en profonde rupture avec celui mis en place après guerre dans les pays occidentaux : comment est-on passé d'un capitalisme fondé sur un compromis entre capital et travail à un capitalisme fondé sur la réduction des dépenses publiques, la dérégulation, la privatisation et la financiarisation de tous les secteurs ?
À la confluence de l'histoire de l'art, de l'esthétique, de la théorie littéraire et des cultural studies, une discipline proprement « inouïe » a vu le jour outre-Atlantique : les visual studies, dont W. J. T. Mitchell est l'un des principaux instigateurs. Avec Iconologie, il nous pousse à considérer que l'image participe de l'intégralité de la sphère sociale, empreint toute discipline, de la littérature aux sciences, et toute politique, de l'image-making des politiciens à leurs discours - de la « fabrication d'une certaine image » à « l'art de faire croire à la réalité de cette image », disait Hannah Arendt.
Mitchell interroge à la fois la force du discours porté sur les images ou instrumentalisant les images et la performativité de ces discours sur le visible. Ses relectures de Burke, Lessing ou Marx montrent que l'image est le siège d'un pouvoir spécifique, attisant les conflits entre iconophiles et iconoclastes : l'image se mue en fétiche, objet d'orgueil et de vénération, ou devient signe d'un « autre » racial, social ou sexuel, objet d'aversion et de peur.
À la recherche d'une théorie critique qui ne se satisferait pas des commodités de l'iconoclasme, Mitchell s'attelle à une déconstruction des idéologies de l'image, une déconstruction qui va jusqu'à reconsidérer l'idée même d'« idéologie ». D'autre part, si l'historicité du regard avait pu être prise en compte par l'histoire de l'art dès le xixe siècle, et si l'on ne saurait aujourd'hui faire l'impasse sur la construction sociale du regard, l'idée d'une construction visuelle de l'idéologie, de la philosophie, du langage et du social en son entier restait à formuler.
Une Terre où la nature recouvre peu à peu ses droits sur la ville après la disparition de l'espèce humaine.
Une architecture bunkerisée dédiée à la sécurité et au contrôle comme réponse à l'effondrement des Twin Towers. Des répliques d'immeubles allemands et japonais érigées dans le désert de l'Utah pour servir de laboratoire au dernier grand projet du New Deal : la destruction par le feu des villes ennemies. Dévastée par les bombes ou les stylos rouges des spéculateurs immobiliers, la Grande Ville capitaliste s'est révélée particulièrement apte à réaliser certaines prophéties catastrophistes.
Dans ce livre, Mike Davis nous montre que, depuis son émergence, elle n'a cessé d'être associée dans l'esprit des hommes au spectre apocalyptique de sa propre destruction. S'inscrivant dans la tradition marxiste d'Ernst Bloch, il affirme que l'aliénation cognitive produite par la mise au ban de la nature dans l'expérience collective a suscité une angoisse constante tout au long du xxe siècle. Dans une veine à la fois mélancolique et optimiste (le système capitaliste n'est qu'un stade de l'histoire humaine appelé à être dépassé), Mike Davis invite donc à une nouvelle science urbaine qui s'appuierait sur la " dialectique ville-nature ".
Celle-ci permettrait d'envisager la ville dans la totalité des interactions qu'elle entretient avec son " dehors naturel ", et de déjouer les limites actuelles des études urbaines. Cela passe ici par un travail spéculatif s'appuyant sur une hypothèse - la disparition de l'homme - et sur un extraordinaire corpus littéraire et scientifique, où les espèces végétales et animales dansent sur les cendres de nos villes mortes.
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La singularité du parcours de Jean-Luc Godard tient au fait de n'avoir jamais abandonné le cinéma et l'art à un utilitarisme militant, même au moment où il a engagé son travail au service des politiques d'émancipation.
Loin d'une approche biographique, David Faroult cherche à fournir des outils pour rendre maniables les tâtonnements de cette recherche pratique, parfois datés même quand ils continuent de paraître neufs. Pour cela, il fallait historiciser les films ainsi que les propos tenus dedans ou autour, démêler autant que possible la part des contingences qui les déterminent, tenter d'y repérer les inventions esthétiques et leurs sources : un tel programme veut contribuer à leur usage critique par celles et ceux qui y puiseront de quoi orienter leurs propres pensées et pratiques artistiques. Lectrice et lecteur y trouveront aussi de quoi satisfaire leur curiosité sur une période peu étudiée et mal documentée du parcours de Jean-Luc Godard, dont l'esquive a peut-être rendu moins lisibles les périodes suivantes.
Avec cinquante ans de recul, que reste-t-il de fécond des tentatives conduites par Jean-Luc Godard autour de l'ébranlement de 1968 pour inventer un cinéma politique ? Qu'est-ce qui, de ces expériences, est manifestement obsolète ? Qu'est-ce qui demeure un héritage fertile pour d'autres conjonctures ?
Outre une étude détaillée qui cherche à démêler ces questions pour aujourd'hui, ce volume fournit des documents totalement inédits ou jamais traduits en français, des instruments de travail sur les films (séquenciers, sources, matériaux) ainsi qu'un cahier de photos étayant certaines descriptions et analyses.
Attention à vos désirs, ils pourraient bien se réaliser sous une forme cauchemardesque - telle est selon Hal Foster la morale qui domine notre époque. Design & Crime, reprenant un siècle après le titre de la célèbre diatribe de l'architecte Adolf Loos (« Ornement et crime »), part de ce constat : que la postmodernité a bien accompli le rêve moderne d'une dissolution de l'art dans la vie, mais sous la forme aliénée d'une « indistinction » entre l'art et le design - entendons, entre l'oeuvre et la forme-marchandise. Ce qu'il advient alors de la culture quand elle se trouve ainsi placée sous le signe du marketing et du spectaculaire est précisément l'objet de ce livre.
Interrogeant tour à tour l'architecture, le musée, l'histoire de l'art, la critique et l'esthétique contemporaine, Hal Foster procède par repérages des antinomies propres à la culture postmoderne (art noble et culture populaire, provocation et compromission, exposition et réification, spectralité et traumatisme). La force de son livre est moins de prétendre les résoudre que de montrer qu'elles conditionnent les modalités du discours critique, les catégories par lesquelles nous pensons le présent. Il ne s'agit pas de « réanimer le cadavre » (celui de la modernité), mais de diagnostiquer le vivant, fût-il mal en point...
« Une ruine nouvelle s'offre depuis une trentaine d'années, monumentale à sa manière et proliférante : villes détruites, murs en lambeaux, usines abandonnées qui ne cessent d'appeler le regard. Étrangement nous voulons toujours les voir, jamais repus de leur fouillis de natures mortes ou de leur austérité massive, jamais lassés malgré la répétition qui les constitue pourtant aujourd'hui en lieu commun. Il faut le reconnaître : la ruine est un objet d'amour. Elle nous tient à la merci de ses images qui, toujours plus vues et connues, ne perdent en rien de leur pouvoir d'attraction. Cette avidité qui fait que la ruine est partout et que s'en multiplient les images dans les galeries et sur les écrans, réelles ou fictionnelles, contient une dimension d'énigme. Quel est cet objet qui, si pauvre et sale et revu soit-il, nous tient ainsi l'oeil en haleine ? Quel est ce désir de ruine ? »
Comment, au milieu du XIXe siècle, Paris a-t-elle pu devenir l'incarnation urbaine de la modernité ? Pour répondre à cette question, David Harvey a exploré les mutations connues par la ville à cette époque : transformation physique, avec les grands projets d'Haussmann, qui remplace le plan médiéval par les grands boulevards ; transformation économique, avec une nouvelle forme de capitalisme dominée par les puissances financières et industrielles ; transformation culturelle, avec l'irruption de ce qu'on appellera plus tard le modernisme ; transformation sociale, avec l'émergence de violents antagonismes de classes qui atteignent leur paroxysme dans les révolutions de 1848 et de 1871.
En présentant la ville moderne comme le produit instable de forces hétérogènes et contradictoires, David Harvey nous offre une image vivante du fonctionnement de Paris ainsi qu'une vision panoramique de la période décisive que fut le Second Empire. Mais cette analyse de la ville moderne est aussi l'occasion d'une réflexion magistrale sur la ville contemporaine - sur la part de la population dans l'urbanisation, sur son accès aux ressources, en somme sur le "droit à la ville".
Village de pêcheurs devenu métropole mondiale en moins de vingt ans, lieu de tous les superlatifs (plus haut gratte-ciel, plus vaste centre commercial, plus grandes îles artificielles, hôtel le plus étoilé...), Dubaï pourrait bien signaler l'émergence d'un stade nouveau du capitalisme, encore inconnu sous nos cieux : un système à la fois plus ludique, par la généralisation du loisir touristique et de la jouissance
commerciale, et plus violent, entre chantiers esclavagistes et politique de la peur, grâce aux guerres qui font rage de l'autre côté du Golfe persique - soit une société sans vie sociale ni classe moyenne, pur mirage de gadgets sans nombre et de projets pharaoniques. L'analyse de Mike Davis pointe les rapports de force à l'oeuvre derrière le phénomène Dubaï ; elle est complétée par une réflexion de François Cusset sur les défis posés aux " démocraties " occidentales par l'insolente réussite de Dubaï, Inc.
La décennie 1960 est une période d'intenses bouleversements dans l'histoire du cinéma japonais. Une nouvelle génération de cinéastes s'impose et se démarque des « grands maîtres » des années 1930 et 1950, tandis que les plateformes de production se diversifient et que les grands studios voient s'effriter leur monopole sur l'industrie des loisirs. L'heure est à la libération sexuelle, à la contestation politique, aux mouvements citoyens contre la pollution industrielle : climat libertaire propice aux irrévérences, dont le monde cinématographique se fait comptable à travers une série de scandales.
Pourtant cette nouvelle et turbulente jeunesse du cinéma ne saurait s'envisager comme un simple phénomène démographique, malgré ce que le nouveau genre des « films sur la jeunesse » (seishun eiga) ou certains cinéastes dits « modernistes », tels Nakahira Kô, voudraient faire croire à la fin des années 1950. Pour d'autres, Oshima Nagisa, Yoshida Kijû ou Matsumoto Toshio, le renouvellement passe au contraire par une redéfinition du rôle du cinéaste et de la façon dont il « agit » le monde. Cette transition se constate d'autant mieux qu'on la rapporte au cinéma d'après-guerre, dont Imai, Naruse, Kurosawa développent des options esthétiques spécifiques, pour bâtir un espace-temps entropique, miné par l'angoisse. Mais l'accès du pays à la prospérité au tournant des années 1960, célébrée en grande pompe par les Jeux Olympiques de Tokyo de 1964, semble dissiper cette angoisse, entraînant les cinéastes de la nouvelle génération vers d'autres modèles théoriques et esthétiques, aptes à rendre compte de la nouvelle société de consommation et de communication de masse.
C'est cette grande mutation qu'Évasion du Japon propose d'explorer.
Le monde tel que nous le vivons et le « ludespace », l'espace des jeux vidéo, entretiennent des rapports ambivalents. D'une part, ce ludespace propose une représentation idéalisée de certaines de nos utopies contemporaines, qui voient leurs fantasmes s'y réaliser : rétribution juste des efforts et de la persévérance, récompense des savoir-faire ou égalité stricte face aux « règles », à l'algorithme. Autant de souhaits qui ne se réalisent que très rarement en dehors du monde virtuel. D'autre part, le « monde réel » se trouve de plus en plus affecté par des valeurs qui sont celles du ludespace : un certain rapport à l'espace, sur lequel se greffent de plus en plus de données, analyses et soucis d'optimisation, une permanence des rapports de concurrence (dans les études, le travail, les relations personnelles).
À la frontière de ces deux territoires, une subjectivité émerge : celle du gamer, avec son rapport particulier au monde et aux règles, perçus et réinterprétés à travers le jeu. Une position, une approche qui, transposée dans nos sociétés contemporaines, permet d'en décrypter les ressorts, voire de les subvertir.
Se présentant comme une série de thèses regroupées sous les intitulés des jeux dans lesquels McKenzie Wark s'est plongé pour son étude, ce livre décortique les liens et subjectivités mis en oeuvre dans les jeux vidéo, de façon à la fois synthétique et programmatique. S'extirpant des oppositions souvent schématiques entre adoration ou défiance vis-à-vis de la technique, il propose des pistes à ceux qui souhaiteraient comprendre, voire déjouer les mécanismes contemporains de la reproduction sociale.
Quant aux gamers, ils trouveront là enfin un outil, exigeant et accessible, pour réfléchir à leur propre pratique sans avoir à en passer par le sempiternel discours sur les « risques ». Il s'agit de rendre au joueur son statut de first player, dans un ludespace qui, de plus en plus, tend à le transformer en produit plutôt qu'en acteur.
A mi-chemin du pamphlet et du texte théorique, cet ouvrage pourfend les dévoiements dont le féminisme a fait l'objet.
Comment le féminisme, jadis pratique utopique et révolutionnaire, a-t-il pu devenir un discours hégémonique parfaitement adapté aux exigences du marché ? Comment ses ennemis d'hier ont-ils pu se l'approprier ? Car aujourd'hui, le féminisme est partout, prétexte à vendre tout et n'importe quoi, des vibromasseurs aux chaussures de luxe en passant bien entendu par soi-même. L'auteure analyse de façon claire, vivante et concise les principaux points d'application d'un féminisme cheval de Troie du néolibéralisme : la consommation, la guerre, le rapport à soi et le marché du travail.
Elle souligne qu'en dépit de leur diversité voire de leurs incohérences, les usages actuels du mot " féminisme " participent d'un processus global de marchandisation : les femmes doivent apprendre à " valoriser leurs atouts ", considérer leur corps comme un ensemble de pièces détachées, devenir des mères idéales sans oublier d'aller se vendre sur le marché du travail ni de maîtriser à la perfection l'art de la sexualité.
Après la femme-objet, voici la femme-marchandise ! Dans notre époque prétendument post-féministe, les femmes se trouvent donc enfermées, sous couvert d'émancipation, dans une nouvelle forme d'essentialisation et de servitude. En s'appuyant sur des exemples tirés du cinéma, de la philosophie, de l'actualité, de la pornographie et des luttes féministes d'hier et d'aujourd'hui, ce livre montre que l'unidimensionnalité n'est pas une fatalité pour les femmes, et que le combat féministe se trouve non pas derrière nous, mais devant nous.
Les guerres d'Afghanistan et d'Irak ont obligé la gauche mondiale à élaborer de nouvelles manières d'analyser et de combattre l'impérialisme.
Mais David Harvey montre dans ce livre que, outre cette dimension spectaculaire et violente, qui laisse à penser que la main invisible du marché a plus que jamais besoin d'un gant de fer, l'impérialisme procède de logiques qui déterminent aussi notre quotidien de manière plus diffuse. Ce que l'auteur appelle l'" accumulation par dépossession " consiste en une répétition nécessaire du processus d'accumulation primitive jadis observé par Marx : le capitalisme financier entraîne en effet la privatisation accélérée des biens communs (terres, forêts, eau, savoirs traditionnels...) et des services publics (énergie, logements, transports, santé...).
David Harvey montre qu'en réalité l'impérialisme capitaliste procède de deux logiques, l'une économique, l'autre politique, qui s'articulent et s'affrontent pour développer des stratégies de domination dans le temps et dans l'espace. Quelles sont les relations entre les dépenses astronomiques du Pentagone et le déclin économique relatif des Etats-Unis ? Washington fait-il reposer de plus en plus son hégémonie mondiale sur le facteur militaire ? Comment l'Amérique compte-t-elle résister à la montée en puissance de l'Asie de l'Est et du Sud-Est ? L'occupation de l'Irak marque-t-elle une première étape de ce conflit planétaire ?..
Pour répondre à ces questions, l'auteur combine de façon originale une triple approche théorique, historique et conjoncturelle. II explique ainsi comment l'impérialisme reconfigure en permanence les liens entre expansion économique et domination territoriale ; il le situe dans la longue durée et le montre à l'oeuvre, sous nos yeux, en ce début du XXIe siècle.
La ville ne peut plus se contenter de discours aseptisés, consensuels ou politiquement corrects. Le capitalisme mondialisé contemporain affecte si profondément les espaces urbains qu'il anéantit les idéaux de liberté, de rencontres et d'émancipation que les villes incarnaient naguère. Celles-ci méritent d'être bousculées, chahutées, contestées, et c'est précisément ce que ce recueil se propose de faire en réunissant pour la première fois un ensemble d'auteurs dont la critique n'épargne ni les espaces urbains, ni les élites qui les façonnent et les gouvernent.
Les 11 textes rassemblés ici, traduits pour la première fois en français, constituent un panorama cohérent et exhaustif de la radical geography : les analyses, qui portent sur la gentrification, sur la financiarisation de la production urbaine, sur la dépossession du plus grand nombre de certaines ressources urbaines, sur les trompel'oeil que représentent le développement durable, la mixité sociale ou le multiculturalisme, sur les dispositifs de surveillance et de contrôle des populations, ou plus globalement sur les formes de domination qui régissent les rapports sociaux, sont unies par la volonté de pointer les contradictions urbaines du système néolibéral.
Cet ouvrage, par sa double vocation pédagogique et militante, participe ainsi du projet d'émancipation voulu par les géographes radicaux, et défendu sur le terrain par un nombre croissant de citadins en lutte.
Série d'études urbaines saisissantes sur le caire, pékin, johannesburg, dubaï, kaboul, managua, etc.
, paradis infernaux pourrait être l'anti-guide des " mondes de rêve " engendrés par le capitalisme contemporain. de la désormais classique gated community de l'arizona aux camps retranchés de kaboul, en passant par la californie de synthèse importée à hong-kong et ailleurs, ou par la spectacularisation architecturale de pékin à l'ère néolibérale, l'imaginaire qui préside à ces nouvelles formes d'utopie est celui de l'enrichissement sans limites, de l'hyperbole constante, des dépenses somptuaires, de la sécurité physique absolue, de la disparition de l'etat comme de tout espace public, de l'affranchissement intégral des liens sociaux préexistants.
Mais cette débauche réservée aux riches ne donne lieu à aucune expérience réelle ; elle est tout entière branchée sur les objet-fétiches de la fantasmagorie mondiale, harnachée aux mêmes idéaux figés du marché global. l'absence d'horizon qui caractérise notre monde se redouble, dans ces outremondes, d'une violence faite aux pauvres, massés, toujours plus nombreux, derrière les frontières visibles ou invisibles qui chaque jour transforment un peu plus le territoire des riches en autant de citadelles néo-libérales enclavées au coeur de notre modernité.
À quoi tient aujourd'hui la légitimité de la prison ? On serait tenté de dire : à peu de chose, à l'illusion que la prison est perfectible, envers et contre tout. Il y a longtemps pourtant que la faillite de l'utopie pénitentiaire n'est plus un secret pour personne. Elle était, à vrai dire, considérée comme acquise dès le milieu du xixe siècle.
Depuis, le procès de la prison en général a été maintes fois instruit.
Est-ce à dire que le bien-fondé de la prison ne se définit plus qu'en négatif, comme un « mal nécessaire » replié sur sa seule fonction sécuritaire ? Pas tout à fait. Les principes et valeurs censés guider nos « États de droit » imposent de ne pas abandonner le discours de la réhabilitation, de la réinsertion. Ce discours nourrit un mythe tenace : celui d'une « bonne » prison, d'une prison vertueuse, enfin conforme à ses ambitions affichées une fois trouvés le bon agencement architectural et les règles de fonctionnement adéquates. Ici et là se créent toujours de tels établissements modèles, portés par l'espoir que cette fois, c'est la bonne, comme si jusque-là on n'avait pas vraiment essayé, par manque de moyens, de volonté ou d'imagination. C'est mal connaître une histoire, jalonnée de tentatives novatrices et parfois grandioses, qui donne toutes les raisons d'en douter.
Pour le montrer, ce livre propose une vaste mise en perspective dans le temps et l'espace. Il effectue un périple qui, de la matrice du Panopticon benthamien jusqu'à nos jours, conduit d'un continent à un autre en revenant sur les expériences les plus notables. Chacune, à sa manière, semble se solder par un échec intégral et définitif. Mais ce serait se leurrer sur le rôle des prisons modèles que d'en rester là. Leur raison d'être se situe ailleurs : par un renversement de perspective, ce livre montre qu'elles ont pour fonction de légitimer les prisons tout court.
Ce livre ambitieux, écrit par trois géographes, deux sociologues et un politiste, propose une nouvelle approche globale de la gentrification, en rupture avec une perception simpliste de ce phénomène : celle d'une guerre opposant les classes moyennes et supérieures, les « bobos », les « hipsters » ou la « petite bourgeoisie intellectuelle » aux populations ouvrières ou pauvres des centres-villes.
Si l'ouvrage entend mettre en évidence la très grande variété des rythmes, des acteurs et des formes de la gentrification, il se donne aussi pour but d'identifier ses invariants. À travers l'étude empirique des transformations de quartiers centraux dans plusieurs villes européennes, il tente de saisir théoriquement ce qui fait l'« ADN » de la gentrification : un rapport social d'appropriation de l'espace mettant aux prises des acteurs et des groupes inégalement dotés.
Gentrifications examine ainsi la place des groupes sociaux dans la ville, leur concurrence pour l'appropriation de l'espace, les infrastructures que leur offrent acteurs économiques ou politiques, ce qui se joue dans les rapports sociaux quotidiens, mais aussi la grande variété de ces rapports sociaux, qui sont ancrés dans des contextes historiques, géographiques, politiques précis et s'incarnent dans des bâtiments, des populations, des pratiques, des images, des politiques, des esthétiques, des rythmes à chaque fois spécifiques.
L'approche adoptée s'inscrit en outre dans le temps long du changement urbain : on ne peut se contenter de saisir les mutations au moment où elles deviennent visibles dans l'espace public. La gentrification émerge progressivement, au croisement des trajectoires de villes, de quartiers, de politiques, de dynamiques commerciales et d'habitants, trajectoires qu'il faut saisir dans leur totalité pour en comprendre les effets sociaux et spatiaux.
Avi Mograbi est connu en tant que documentariste engagé, du côté de? la?????? gauche??????? isra?él???????ienne, p????our l?? ap??ai?? x???et la fin de l'occupation. Ses films, sélectionnés dans les plus importants festivals internationaux, sont toujours attendus par le public frança??????is.?? Dès?????? son pr????????emier, Comment j'aia?? apprisappr??? à?? ?surur??????????monter ma p?euuru????? et ?? àaaia?????mer AArikr???
Sharon (1997), il s'???????????????????????est efforcé de montrer l?????e con??fl???????????it entre cel??????????ui qui réal???????ise et l?????????????e monde qui s'???????????????????????offre ou qui se refuse à sa caméra ; et comment ce même conflit génère une narration impure, mi-documentaire mi-fictionnelle, apte à saisir l'état effectif du moment présent.
Mon occupation préférée, qui sortira en concomitance avec la rétrospective Avi Mograbi organisée par le Jeu de Paume (14-31 mars 2015), est d'une part l'histoire de ce monde double, fictionnel et documentaire à la fois et, d'autre part, l'histoire d'un homme qui, depuis toujours, s'occupe, avec l'ironie et la pugnacité caracté????????????????????????????????ristiques de son cinéma, à démoli???r le??????????????s raisons de l'l'O????ccupa???????tion. Le?? li????????vre compo????????rte un lo?????????????????ng entretien en cinq parties et sera introduit par un essai de Jean-Pierre Rehm.
L' entretien commence à Venise, en 2008, lors de la présentation de Z32 et se poursuit à Paris, trois ans plus tard. Mograbi prép?????????are un fil?????m insp????ir??é pa???r l'hl'hi??????????????????stoire de sa familllle???. C'C'e????st l'l'o????????????ccasion de pa??rle???????????????????r de son enfance, de son engagement, des premiers films: Dépo?rt?at????ion, La Reconstruction, Sharon. En 2013, Mograbi vient de terminer Dans un jardin je suis entré, son intervieweur et lui en discutent à Tel-Aviv. Le lendemain, le cinéaste conduit son invité à Jérusalem et dans les territoires occupés, la conversation revient sur des films tournés à la veille et au lendemain de la deuxième Intifada : Happy Birthday, Mr. Mograbi, Août, Pour l'un de mes deux yeux. Un an plus tard, en 2014, l'entretien se termine sur le nouveau projet de Mograbi, dans une prison, au milieu du désert...
Cet essai, qui a connu un grand succès en Turquie, aborde la question de la perception de la « question arménienne » par un journaliste connu pour ses prises de position radicales sur les nombreux sujets problématiques de la période contemporaine : les pouvoirs de l'Armée, la question kurde (à l'intérieur et à l'extérieur de la Turquie) et la mémoire du Génocide. Mais ce journaliste présente un statut particulier de par son appartenance familiale ; il est le petit-fils de l'un des principaux dirigeants turcs des années 1914 à 1918.
Ce dernier (Djemal Pacha) fut assassiné en 1921 à Tiflis par un Arménien. Et une partie de l'ouvrage raconte la perception des proches justement, la manière dont le milieu familial a traité la mémoire d'un événement majeur du XXe siècle, exprimant dans ses silences et zones d'ombre l'attitude générale de la période républicaine.
Ce récit également autobiographique reprend les étapes de la prise de conscience du journaliste qui suit les débats et publications en Turquie depuis le début des années 1990, s'associe aux activités de « relecture » des événements de l'année 1915, participe à la conférence de l'Université Bilgi en 2005, commente les déclarations et les écrits des romanciers Orhan Pamuk et Elif Safak, revient longuement sur l'assassinat du journaliste arménien Hrant Dink en janvier 2007. Il effectuera également des visites et conférences aux États-Unis puis en République d'Arménie : c'est en témoin fervent des processus de pardon et de réconciliation qu'il s'affirme ici. Témoignage irremplaçable fourni par un Turc qui, selon la logique étatique, aurait dû se situer de l'autre côté de la ligne de fracture idéologique, récit plein d'émotion et de doutes, il incarne le changement d'opinion, la recherche de vérité que le pays héritier des massacres de 1915 commence à réclamer. Fourmillant de références au débat interne, à la myriade de données qui permet de situer la complexité des réticences et des bloquages d'un pays où a régné une éducation de l'oubli, le livre de Hasan Cemal permet d'engager le procès de l'historiographie avant de faire celui de l'Histoire. Un ouvrage nécessaire qui vient compléter la production en français consacrée à ce sujet brûlant et polémique.