Peu de romans ont marqué l'imaginaire politique. Le Talon de Fer est de ceux-ci. Il provoqua en 1908 les réactions outragées des socialistes américains, les commentaires haineux d'une presse dont les propriétaires étaient attaqués, et le dédain d'une part des lecteurs de Jack London à qui il proclamait : votre miracle économique salvateur est fondé sur une hypocrisie de classe ; elle mènera à une surproduction planétaire, à des conflits pour la résoudre, et in fine, à une Révolution mondiale !
Puis en 1923, le roman parut en France où une puissante critique sociale s'exprimait, s'appuyant sur les expériences conjuguées d'une guerre mondiale et de la révolution russe ; l'oeuvre de Jack London sembla visionnaire. Elle fut largement commentée, continua de l'être au cours du siècle, l'instituant comme manifeste social et politique, prolongeant à présent sa thématique jusque sous les fenêtres de la mondialisation en cours.
Nous l'accueillons donc dans la collection fondateurs, accompagné de textes d'auteurs qu'il a marqués depuis 100 ans : Anatole France (1923), Paul Vaillant Couturier (1937), Léon Trotsky (1939), Bernard Clavel (1967), Laurent LD Bonnet (2022), plaçant ainsi Le Talon de Fer sur la perspective historique désirée par l'auteur, illustrant sa réception dans les esprits de chaque époque, et proposant une vision ouverte d'une oeuvre qui symbolise ce qu'était Jack London : une conscience sociale. Dont la qualité ne fut pas d'être précisément avérée, mais de qualifier une prémonition dont l'Histoire a prouvé, et prouve encore la justesse dans le monde : jamais les oligarchies, pour garder la maîtrise du pouvoir, n'hésitent à emprunter les chemins de répression les plus sauvages - civils ou guerriers. Jack London offrit un nom à ce principe ; il sonne désormais comme un glas universel : The Iron Heel - Le Talon de Fer.
Pas une de nos émotions n'est franche. Joies, douleurs, amours, vengeances, nos sanglots, nos rires, les passions, les crimes ; tout est copié, tout ! Le Livre est là.
Cette première phrase d'un article paru dans les colonnes du Figaro en octobre 1862, révèle un texte qui s'avère visionnaire à l'aune d'un phénomène devenu prépondérant depuis : les médias et leur corollaire, l'image.
Sans le savoir, Jules Vallès en décrypte ici la gestation, les mécanismes et les influences qu'exerçaient déjà à son époque les personnages de roman et leurs auteurs, façonnant les représentations, modifiant le rapport à la réalité. L'auteur inscrit pour l'histoire la première alerte à une possible tyrannie : de son temps l'Imprimé ; demain pour nous des univers refuges, virtuels et manipulables à souhait.
Raluca Belandry nous propose d'examiner l'ère de grande fragilité dans laquelle entre aujourd'hui l'espèce humaine, à l'aune du regard de D. H Lawrence : dans l'exercice de sa liberté, quelles sont les limites de l'homme ? nous demande l'auteur dans ce texte critique inédit, écrit peu avant sa mort en 1930. DH Lawrence y aborde cette question sous l'angle d'un christianisme auquel l'homme est "comme un cheval harnaché à une charge impossible à tirer." Rendant Jésus "inadéquat" inadapté à une nature humaine structuré par ses faiblesses, un socle trilogique de besoins qui l'empêche d'être libre : Miracle Mystère et Autorité. Qu'en sera-t-il au 21e siècle ?
Chez Christina Rossetti, la femme est vivante et active, n'hésitant pas à protester et à donner voix à ses émotions dans toute leur variété, à faire venir l'homme sur son propre terrain pour l'y interpeller. La muse s'émancipe soudain et offre sa version de l'amour, devient poétesse en déconstruisant la tradition littéraire : ses vers insistent sur l'égalité des amants, sur l'absence de rivalité amoureuse et sur la réciprocité d'un amour où jamais ne devrait exister de compétition pour savoir qui aime le mieux. Raluca Belandry nous offre par cette traduction inédite, une profonde vision des racines de l'expression créative féminine.
À l'heure où les extrémismes, les dogmes religieux et l'abêtissement affaissent le socle de la pensée républicaine, l'opuscule du philosophe Emmanuel Kant, publié en 1784, Qu'est-ce que les Lumières ? s'inscrit dans l'évidence d'une réflexion contemporaine refondée sous le regard citoyen de Richard Escot, journaliste et écrivain, co-auteur du Dictionnaire des Penseurs (Honoré Champion, 2018).
Conçu au retour d'un voyage en Italie, composée à l'orée du siècle de la Réforme, à une époque où l'exercice décadent des pouvoirs catholiques s'affiche de manière éhontée, cette déclamatio humoristique d'Érasme, écrite en Angleterre, chez son ami Thomas More, met en scène un personnage, la Déesse de la Folie, qui se livre à une sévère critique des comportements sociaux, essentiellement ceux du clergé, aussi bien moines que haut clergé en passant par les théologiens, sans oublier le peuple des courtisans. Satire magistrale, l'Éloge de la folie démontre à quel point l'humour peut atteindre une dimension politique majeure, combattant à cette occasion, dira Stefan Zweig : le fanatisme aux horizons étroit qui paraît à Érasme n'être qu'un regrettable emprisonnement de l'intelligence, une des formes innombrables de la stultitia(*) dont il classe et caricature si plaisamment les mille types et variétés. Éloge de la folie enjambe les siècles et vient toquer aujourd'hui aux portes des pouvoirs contemporains, pour en tancer l'universelle tartufferie.
*stupidité
Comment d'une fable faire une forêt ? Prenez un poète et philosophe dont le coeur, au tout début du 19e siècle, balance entre foi et doute. Puis transportez sa pensée jusqu'à un homme du 21e siècle, amateur de textes et curieux des enjeux du monde. Accordez le tout dans un moment de rencontre avec des hommes et des femmes qui savent ce que s'engager veut dire. Et vous obtenez le projet fou d'une forêt grande comme l'île de la Dominique, plantée en plein coeur de l'Europe. C'est le miracle de l'écriture que nous conte ici Éric Fabre qui, un jour, rencontra Giacomo Leopardi.
À quoi se résume la vie ? À lutter, répond Jack London dès quatorze ans, lorsque son premier job dans une conserverie le force à enchaîner les journées de douze heures de travail sans mettre un cent de côté. Sa vie ne sera plus que lutte, il en fera une profession de foi au service d'un idéal : se battre ne suffit pas, encore faut-il le faire pour un monde meilleur. London s'est engagé en écriture et, bien au-delà d'aventureux destins racontés, n'a cessé de clamer sa révolte, d'en dédier la réussite temporelle à ses frères du Peuple d'en bas. Et c'est avec les mots de l'un d'entre eux glissés dans sa poche que London devint cendre : Votre parole était d'argent. À présent votre silence sera d'or.
Chercher et trouver sa voie a toujours été l'un des buts les plus élevés de l'être humain, quête intérieure souvent effectuée sur les pentes les plus abruptes. L'Ascension du mont Ventoux, carnet de voyage introspectif rédigé par Pétrarque en 1336 témoigne, à travers métaphores et citations philosophiques, d'une profonde réflexion sur l'être et son émancipation.
Après son regard posé sur Kant (Oser Savoir - les défricheurs, 2021) Richard Escot s'empare de ce texte de Pétrarque et le projette dans une perspective originale, un continuum littéraire qui relie l'esprit de la Renaissance aux oeuvres de Jack Kérouac - en passant par René Char, Dante Alighieri et René Daumal.