Et si on cessait d'opposer fin du mois et fin du monde ? Pour en avoir le coeur net, Damien Deville s'est rendu dans l'un de ces territoires de la France périurbaine, précaire et délaissée, et a mené l'enquête.
Alès, capitale des Cévennes, fut longtemps le pays des hommes du charbon (les mineurs), des hommes du feu (la chaudronnerie) et des femmes du fil (le textile). Aujourd'hui, les industries ont fermé. Quoi pour les remplacer ?
Peut-être une piste intéressante se trouve-t-elle du côté des jardins potagers. Là, pour les anciennes populations ouvrières, se vit une façon de retour à la terre. Là, chacun plante, bêche?; tout le monde échange outils, semences et savoir-faire. Si bien qu'à la motivation économique, forcément première, viennent se mêler des préoccupations d'ordre social, écologique ou paysager...
Cernant les contours d'une écologie de la précarité, l'auteur souligne comment de simples lopins de terre deviennent d'authentiques lieux d'émancipation. Partant, il ébauche le modèle ce que pourrait être la société si elle était jardinière.
Recouvrant près de 8 % des terres émergées, le lichen est un être vivant qui devrait nous paraître familier. Mais, discret, il en est devenu insignifiant, invisible. Or, plus nous nous en approchons, plus se révèlent ses beautés, ses mystères, son étrange pouvoir d'attraction. Mi-algue, mi-champignon, il pourrait bien révolutionner notre conception du vivant et remodeler nos imaginaires... C'est du moins la proposition stimulante de cet essai, le premier consacré au lichen en dehors des ouvrages spécialisés.
Fruit de plusieurs années d'enquête sur plusieurs continents, il propose une réflexion originale, buissonnière et, comme son objet, " symbiotique ", mêlant avec jubilation les cultures et les savoirs. Biologie, poésie, littérature, philosophie, écologie ou encore arts plastiques... Et si le lichen était au coeur de nos questionnements les plus actuels et les plus urgents ? Il permet en tout cas de penser une écologie qui ne repose plus sur les oppositions entre nature et culture, ville et campagne, compétition et coopération.
Dans lichen, il y a lien. Symbole de résistance ou force venue d'en bas ? Vous ne verrez plus le lichen, ni notre monde, de la même façon.
Delta?: une lettre d'alphabet pour ces «?dunes que le vent déplace et que l'eau transporte?»?; une lettre pour une zone vivante, modelée par la nature, que la main humaine a modelée à son tour. Delta?: une forme parfaite, un triangle anthropocène - car, au fil des siècles, le pouvoir aménageur a fait du delta du Rhône une zone de ressources, avec des conséquences multiples, parfois désastreuses et toujours complexes, sur le biotope. Dans ce territoire à la fois sauvage et pratiqué depuis des millénaires, se superposent strates géologiques et mythologiques, tandis que l'empire de l'humain sur le non-humain se diffracte en des myriades d'autres rapports de domination, et d'autres mémoires.
Débordant la monographie documentaire, Fanny Taillandier poursuit sa série «?Empires?» et excelle ici, avec la Camargue pour creuset, à mêler les voix afin de donner à voir les logiques antagonistes qui innervent le territoire et d'évoquer des paysages somptueux, travaillés par nos mythes et nos croyances. Ce delta vaut pour tous les deltas du monde. Et, alors que la géographie s'entremêle de récits et de poésie, on croise, au hasard des paysages changeants d'eau et de sel, une diseuse de bonne aventure, des hors-la-loi magnifiques, des ingénieurs fantasques, un tueur en série et un grutier mystique, qui, tous, rappellent le tissu magique de nos représentations
Qu'il tende vers le progrès ou vers l'effondrement, nous voyons le temps sous la forme d'une flèche, et nous le supposons donc unique et linéaire, maîtrisé, dominé, comme vu de dehors, c'est-à-dire de nulle part. Or, la crise du climat nous oblige à abandonner cette position d'extraterritorialité : de multiples temporalités y entrent en jeu - les temps cosmologique, géologique, biologique, historique, social et psychologique -, qui rendent caduc le primat du temps chronologique, lequel semble les aligner sur les barreaux d'une même échelle.
Dans cet essai, Bernadette Bensaude-Vincent nous invite à sortir du cadre temporel de la modernité occidentale pour porter attention à la diversité des temps propres aux vivants et aux choses qui font monde avec nous - jusqu'aux virus, aux plastiques ou aux déchets nucléaires. En s'inspirant de la pensée chinoise classique aussi bien que de l'écologie du paysage, elle met au jour une hétérogénéité de trajectoires temporelles qui cohabitent, interfèrent et s'entremêlent.
Par là, elle ne nous apprend rien de moins qu'à composer des " temps-paysages ", c'est-à-dire à replonger les actions humaines dans les cycles multiples qui régissent l'histoire de la Terre, articulant le temps qui passe avec le temps qu'il fait.
L'écologie n'a rien à voir avec la nature. Elle n'a rien à voir non plus avec l'environnement et encore moins avec Gaïa et autres déités nouvelles. Aux yeux de Victor Petit, nulle provocation dans ces constats, seulement des paradoxes pour repenser l'écologie par le milieu, pour plaider en faveur d'une écologie qui soit en réalité une mésologie (de mésos en grec, « milieu »).
La nature ? En réalité, elle ne s'oppose pas à la culture. L'environnement ? Une telle notion présuppose que nous aurions le pouvoir d'agir sur des conditions de vie extérieures à nous, notamment grâce aux technosciences. L'hypothèse Gaïa ? Trop incompatible avec un milieu travaillé par des flux de matières et d'énergie.
En philosophe héritier de Gilbert Simondon et de Bernard Stiegler, Victor Petit préfère retenir un concept à la fois physique, médical, biologique, social, géographique et finalement technique. Du « milieu », il retrace quelque quatre siècles d'histoire et, ce faisant, montre combien il est différent de la notion, dépolitisante, d'environnement.
Oui, l'écologie est une technique trop sérieuse pour être confiée à des technocrates : l'écologie sera politique ou ne sera pas !