Homme d'idées et d'idéaux, mais étranger aux idéologies, écrivain à la passion désespérée, mais à l'écart des cercles et des académies, Beppe Fenoglio a vécu en splendide solitaire au coeur de son époque. Auteur de quelques-uns des romans les plus importants de la seconde moitié du XXe siècle, il a aussi été un maître de la nouvelle, un genre qu'il a cultivé avec dévouement tout au long de sa carrière d'écrivain : de ses premières tentatives dans les années 1940 jusqu'aux derniers jours de sa vie. C'est Italo Calvino qui avait fait sa découverte comme écrivain avant de devenir son ami et qui fera de lui le plus grand des éloges après sa mort prématurée : « Il était le plus solitaire d'entre tous et c'est lui qui est parvenu à écrire le roman [Une affaire personnelle] dont nous avions tous rêvé, alors que personne ne l'attendait plus : Beppe Fenoglio. Il a réussi à l'écrire mais pas à le terminer et il est mort avant de le voir publié, dans la fleur de ses quarante ans. Le livre que notre génération voulait faire est maintenant là, et notre travail y reçoit un couronnement et un sens, et à présent seulement, grâce à Fenoglio, nous pouvons dire qu'une saison s'achève ». Les nouvelles réunies ici, jusqu'à présent inconnues du public français, offrent un florilège représentatif d'un romancier dont les ressources sont aussi vastes qu'imprévisibles.
Pour la première fois réunis en volume les écrits sur l'art de Giorgio Manganelli Comme aimait à le dire l'un de ses maîtres, Borges, plus qu'un auteur Giorgio Manganelli est toute une littérature à lui seul : polymorphe et perverse, et toujours surprenante. Un grand nombre de ses livres, qui échappent à toute tentative de classification, a été traduit en français et beaucoup continuent à être publiés après sa mort, regroupant l'abondante production journalistique d'un auteur qui se professait non sans provocation « écrivain de café-concert ». Mais en plus de cet éloquent succès posthume, il nous reste sa passion dévastatrice pour les arts visuels. Manganelli est un outsider, mais pas un amateur : il démontre dans ces articles, recueillis ici pour la toute première fois, une compétence de spécialiste, en particulier à propos du répertoire italien des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles (Donatello, Michel-Ange, Caravage, Tiepolo...). Il s'agit d'un territoire immense, aussi bien chronologiquement (des pierres de la région de Luni, 3000 ans avant Jésus-Christ, aux compagnons de route que furent Gastone Novelli ou Carol Rama) qu'à l'aune d'une curiosité minutieuse allant de stars comme Raphaël ou Van Gogh et des tours de passe-passe fastueux et ensorceleurs des maniéristes jusqu'aux affiches victoriennes et aux ornements caducs du cimetière de Campo Verano.
Le plus souvent en marge des courants idéologiques dominants en Italie, Nicola Chiaromonte a joué un rôle déterminant dans le dialogue culturel entre l'Italie et la France, et plus encore entre l'Europe et les États-Unis. Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, revenu de son exil outre-Atlantique, il s'efforce de rassembler dans un projet culturel commun inspiré par un antitotalitarisme authentique et profond des intellectuels américains - en particulier Dwight Macdonald, Mary McCarthy et Hannah Arendt - et des écrivains français dont il se sent proche : ami de longue date avec André Malraux - bombardier dans l'escadron aérien créé par le romancier, Chiaromonte est le Scali de L'Espoir -, il avait noué dès 1941, en Algérie, un lien fraternel avec Albert Camus. Son cosmopolitisme a profondément influencé sa pensée politique, aiguisant son intelligence des évolutions socioculturelles à moyen et à long terme dont il a su restituer, avec rigueur et clarté, les enjeux éthiques. De cette lucidité découle son engagement inlassable contre le totalitarisme, son souci de dévoiler les multiples visages de la « tyrannie moderne » pour défendre, avant tout, l'autonomie de la culture. Dans ses essais, dans son combat culturel, Nicola Chiaromonte s'est toujours montré soucieux de maintenir le dialogue aussi ouvert que possible avec ceux qui, de l'autre côté du rideau de fer, subissaient l'oppression totalitaire.
Les poèmes de Giorgio Bassani (1916-2000) n'offrent pas seulement l'accompagnement de ses romans.
Ils en offrent la vérité, ou, commeaimait à le dire Bassani lui-même : toute la vérité.
À la fin de sa vie, dans son appartement romain de (à) via G. B. de Rossi, il n'était pas rare de voir l'auteur du Jardin des Finzi-Contini aller chercher un de ses poèmes pour le lire à voix haute et honorer ses invités. Il connaissait par coeur de nombreux chants de la Divine Comédie.
À ses yeux, il était avant tout un poète : un poète lyrique.
Et c'est pourquoi, de même qu'il avait tenu en 1980 à offrir la version définitive du Roman de Ferrare en rassemblant dans une oeuvre unique ses grands livres de prose (Dans les murs ; Les Lunettes d'or ; Le Jardin des Finzi-Contini ; Derrière la porte ; Le Héron ; L'Odeur du foin), il reprenait deux ans plus tard en un seul volume l'ensemble d'une production poétique dont la composition avait comme enchâssé le Roman de Ferrare : sous le titre d'In rima e senza (Avec et sans rimes), il réunissait Storie dei poveri amanti (1945), Te lucis ante (1947), Un'altra libertà (1951), Epitaffio (1974) et In gransegreto (1978).
Revue et augmentée, cette nouvelle édition d'un large choix de l'oeuvre poétique de Giorgio Bassani accueille aussi des essais de traductions - jusqu'ici inédits - de poèmes de Ronsard, Baudelaire, Rimbaud,Mallarmé, Apollinaire et Char.
Le volume Tabucchi par lui-même présente pour la première fois au lecteur un ensemble de textes - pages de journaux, entretiens, essais - dans lesquels l'écrivain Antonio Tabucchi, plutôt réticent à parler de lui, lève le voile sur son autobiographie privée et littéraire, en chemi-nant depuis la Toscane maritime de ses origines jusqu'au Portugal - terre du coeur et des amitiés, devenu son pays d'élection -, en passant par Paris, découverte dans les années Soixante et toujours plus aimée. Commentaires sur ses propres oeuvres, intérêt pour d'autres formes artistiques, réflexions sur son statut d'écrivain se mêlent dans ce re-cueil qui offre un regard inédit et passionnant sur un auteur italien devenu désormais un classique du vingtième siècle européen.
De 1910 à 1915, assiégé par les créanciers, Gabriele d'Annunzio quitte l'Italie et se réfugie en France, entre Paris et Arcachon. « Cinq années d'exil dans l'Extrême-Occident, sur la croupe sylvestre de la dune océanique : une longue suite de jours et d'oeuvres, une longue patience, une longue attente » écrira-t-il dans Nocturne. C'est au cours de ces années qu'il commence à envoyer régulièrement au Corriere della Sera une série de proses de mémoire, dont il poursuivra la rédaction dix ans après, dans son ultime refuge, le Vittoriale. Ce vaste corpus sera publié en deux tomes sous le titre Le faville del maglio (Les Étincelles de l'enclume), entre 1924 et 1928. Le lecteur trouvera ici pour la première fois en traduction française un choix de textes tirés de ce « roman autobiographique » en trois volets (Il venturiero senza ventura, Il secondo amante di Lucrezia Buti, Il compagno dagli occhi senza cigli) dont une large partie est consacrée aux souvenirs des sept ans (1874-1881) passés par le jeune Gabriele au collège jésuite de Prato. Mais ce serait faire fausse route que de chercher dans l'écriture des Étincelles l'ambition du mémorialiste ou la fascination proustienne pour la musique du passé. L'autobiographisme de d'Annunzio a pour objectif la célébration de son destin exceptionnel de créateur. Ses prouesses d'adolescent peu enclin à l'ordre et à la discipline, ses aventures de collégien fantasque et sauvage, exalté par la beauté de l'art et de la poésie, deviennent ainsi autant de présages d'une vocation à la création et à l'action héroïque, autant de signes avant-coureurs de la « richesse de sa destinée ».
Prix Nobel en 1959, Salvatore Quasimodo (1901-1968) a été longtemps reconnu comme l'un des sommets de la poésie italienne du XXe siècle, avant d'être ensuite sous-estimé et son propre rôle dans l'histoire du langage poétique contemporain passé sous silence. Cette nouvelle traduction se propose de restituer à l'attention du public français un poète qui mériterait d'être relu et reconsidéré. Suivant les pas de l'écrivain sicilien Gesualdo Bufalino, dans son introduction, Salvatore Silvano Nigro retrace le parcours de formation poétique de Salvatore Quasimodo et met en évidence sa vocation à « «une musique authentique et harmonieuse».
Roman historique ou d'amour ? Roman à clef ou d'espionnage ? Un dénommé Ramondès oscille entre les genres, à l'image de son protagoniste voyageant entre France et Italie, à la veille de l'entrée en guerre, au printemps 1940. Il arrive dans un Milan tout aussi stendhalien que fasciste. Qui est-il d'ailleurs ce Ramondès ? (Le sait-il lui-même ?) Lettré, amoureux de Proust - et des jolies Milanaises -, il endosse les habits (rutilants) d'un presque homonyme, célèbre critique. Cette imposture onomastique lui donne accès aux cercles culturels de la capitale lombarde où l'on se plaît à refaire le monde littéraire et politique, comme dans les salons de cette France que tous admirent et que notre héros incarne à leurs yeux. (Et à sa manière, pour ne point être démasqué, il lui faut livrer bataille face à des experts en bons mots et saillies à double sens). Récit brillant (entre Gadda et Proust sur le plan stylistique), hommage à la culture française aimée par son auteur, Un dénommé Ramondès propose une plongée, sans équivalent dans la littérature italienne, au coeur d'un moment de crise où, comme nous le rappelle la célèbre formule de Gramsci, deux mondes s'affrontent : celui qui ne veut pas mourir, constitué par des intellectuels érudits pour qui la littérature est un refuge apaisant, et celui qui ne peut encore naître, empêché par l'emballement de la folie des hommes. Réflexion sur l'identité, le roman de Vigevani illustre d'une façon implacable, et éminemment élégante, une période qui vit l'Italie basculer dans l'irrationnel. En ce sens, il se prête aussi à une lecture plus contemporaine. C'est là la marque des grandes oeuvres littéraires.
Leonardo Sciascia (1921-1989) a été un lecteur passionné de Stendhal. Dans Stendhal for ever, livre posthume et inédit en France, publié à l'occasion du centième anniversaire de la naissance de l'écrivain, sont réunis tous ses écrits sur l'auteur de la Chartreuse. Bibliophile raffiné qui a tout lu, Sciascia y adopte la démarche du glaneur, qui savoure le plaisir de retrouver, au fil de ses explorations littéraires, les traces de la présence, manifeste ou secrète, d'un écrivain auquel il voue une véritable adoration.
Stendhalien invétéré, il propose au lecteur une virée littéraire jubilatoire où il nous est donné de rencontrer, entre autres, Giacomo Casanova et Giuseppe Tomasi de Lampedusa, Alberto Savinio et Ettore Majorana.
Un pamphlet virulent sur l'industrie culturelle à Milan au début du boom économique. Luciano Bianciardi (1922-1971) a su, mieux que tout autre écrivain italien de sa génération, raconter la défaite de l'intellectuel engagé qui se heurte à la réalité de l'industrie culturelle moderne. L'Integrazione (1960) est une satire amère et mordante de la société milanaise des années 1950, où les enthousiasmes de l'après-guerre sont broyés par l'avancée triomphante et impitoyable du boom économique. Avec une ironie décapante, Bianciardi déconstruit les mythes, les rituels et les langages d'une société qui opprime et falsifie tous les aspects de l'existence humaine. Dans sa fureur anarchique, il n'épargne pas les hypocrisies d'une gauche qui, face aux événements tragiques de la Hongrie, se ridiculise, en s'enfermant dans des exercices dialectiques stériles. Comédie et angoisse coexistent dans un pamphlet qui, à plus de soixante ans de sa parution, garde intacte toute sa virulence corrosive.
La force du livre de Revelli tient à son statut de vérité que nul pathos ou jugement moral ne dévie jamais de la volonté principale de l'auteur, exprimée en clôture de l'ouvrage : « Pourquoi ai-je voulu revivre mes années fascistes, mes années de guerre et de résistance ? Parce que je crois en la jeunesse et parce que je veux que les jeunes sachent ».
À la fois journal de bord, enquête, essai d'historien, autobiographie intime et générationnelle, le livre de Nuto Revelli est le pendant documenté et précis d'une tradition du récit de guerre bien ancrée en Italie avec des romanciers tels que Mario Rigoni Stern (Le Sergent dans la neige) et Beppe Fenoglio (La Guerre sur les collines). Comme eux, Revelli dévoile l'absurdité et la folie d'un système militaire, compromis avec le fascisme, qui a broyé les plus fragiles et permis à certains autres d'entrer par réaction dans la Résistance, l'autre guerre du titre, choisie, elle, et fondée sur un engagement éthique profond et cohérent. Lire aujourd'hui son témoignage, c'est comprendre que les guerres ne se valent pas et que la mémoire des tragédies historiques, si elle ne se rigidifie pas en devoir imposé, demeure le garant du combat contre le retour de la bête immonde.