La médecine se trouve actuellement à une croisée des chemins : on peut craindre que le développement extraordinaire de sa technicité, qui en permet les prouesses, se fasse au détriment de son humanité. Ce livre tente de montrer comment une médecine humaine est possible en analysant, pour en décrire la singularité, ce phénomène qu'est la rencontre, véritable face-à-face entre deux personnes, un soigné et un soignant. Il montre comment, dans la conversation que permet cette rencontre, ceux-ci peuvent créer une relation de réciprocité dans laquelle ils s'engagent ensemble tout en conservant leur identité personnelle.
Écrit par un médecin, ce texte est un aller-retour entre philosophie et médecine. Partant d'une question médicale, se promenant sur divers chemins de la philosophie, il définit les conditions d'une pratique humaine du soin. Il vise à poser ainsi les fondements d'une Médecine de la Personne, nouveau paradigme qui apparaît au terme de cette réflexion comme nécessaire pour l'avènement d'une médecine humaine. Il devrait intéresser l'ensemble des professionnels de santé, futurs et actuels, mais aussi le grand public pour qui la santé et donc la médecine sont devenues des questions sociétales majeures.
Nul n'en doute, surtout pas l'auteur de ce livre et son postfacier : Maurice Blanchot est un écrivain considérable, un penseur considérable, auquel la modernité doit beaucoup et qu'il ne s'agit d'aucune façon de réduire.
Ce dont il est question dans ce livre, c'est de son passé politique lointain. Avant la guerre : c'était l'enjeu de L'Autre Blanchot (Gallimard, coll. « Tel »). Durant la guerre : c'est l'enjeu de celui-ci. Parce qu'il n'a certes pas tout dit à leur sujet, ce qu'on savait ; et parce qu'il est arrivé qu'il écrive des choses dont l'inauthenticité est maintenant démontrable. Silence, inauthenticité à quoi se reconnaît une certaine mémoire politique française, hémiplégique. À quoi ne doit pas se reconnaître sa mémoire intellectuelle, à plus forte raison quand c'est de Maurice Blanchot qu'il s'agit.
La liberté est-elle un pouvoir neutre et indifférencié de choix et d'action qui est octroyé à tout individu, et qu'il exerce identiquement avec tout autre, ou n'est-elle pas plutôt une capacité qui n'échoit qu'à lui seul d'accomplir son être propre dans ce qu'il a d'unique ? En souscrivant à la seconde branche de cette alternative, Claude Romano s'efforce de préciser les conditions de possibilité de qu'il appelle « liberté intérieure », c'est-à-dire la capacité de vouloir et de décider en l'absence de conflit intérieur, de telle manière que cette volonté et cette décision expriment l'être que nous sommes et manifestent un accord de cet être avec lui-même. En soulignant les limites de la conception largement dominante, de Platon à Harry Frankfurt, de cette liberté comme une subordination de nos désirs et tendances affectives spontanées aux « désirs de second ordre » qui découlent de notre réflexion rationnelle, l'auteur défend une conception originale de l'autonomie qui rejette une telle hiérarchie. Il étaye son propos par l'analyse d'un exemple littéraire, la décision finale de la Princesse de Clèves dans le roman éponyme de Mme de Lafayette.
Depuis son avènement au début du XXe siècle, la phénoménologie a rallié, dans une fidélité plus ou moins grande à Husserl, son fondateur, des auteurs aussi différents que Heidegger, Scheler ou Fink - non sans que chacun ait d'abord pris la mesure de l'ambition d'un projet qui consistait à réaffirmer le sens de la philosophie en lui assignant pour objet un certain absolu, jugé comme tel « irréductible ». Les philosophes français, dont Sartre, Merleau-Ponty, Levinas, Derrida, Henry, Marion, ont tous eu à coeur de renouveler à leur façon la phénoménologie, en interrogeant à nouveaux frais ses enjeux.
En revenant sur l'histoire de ce courant, Paul Audi montre que la plupart de ces penseurs ont suivi un même ordre de mission - que Sartre formule ainsi dans son tout premier texte phénoménologique, en 1934 : « Soyons plus radicaux ». Pourquoi et comment ce devoir de radicalité a-t-il pris auprès d'eux le statut d'un mot d'ordre ? Quels enseignements devrions-nous aujourd'hui en tirer ? Une de ces leçons ne revient-elle pas à dire que si, en phénoménologie, la demande de radicalité a bien sa raison d'être, elle n'en révèle pas moins les limites de la discipline - des limites qui pourraient bien expliquer pour partie son essoufflement actuel ?
L'alliance est la grammaire principale du monde. Phénomène commun, local et universel, le plus pauvre et le plus noble. Elle se trouve cependant aujourd'hui plus que jamais contrariée. Le monde est en dés-alliance sur le plan social, politique, anthropologique, écologique, techno-scientifique, métaphysique. Les demandes répétées de « recréer du lien » en corroborent le fait plus qu'elles n'en dessinent une alternative : affranchies de tout « principe », elles échouent à leur tour sur les rives du nihilisme. C'est que le principe est tombé dans l'oubli. Ses titres ont été, dès la fin du xixe siècle et tout au long du xxe siècle, durement contestés et ses droits confisqués. Nombre de succédanés se sont imposés, avec leurs antinomies et leurs tragédies humaines : Raison suffisante, Progrès, Destin, Cause, État. Le principe ainsi reclassé, déclassé, fut biffé derechef au titre de ce qui lui fut imputé : voracité de l'Un, maîtrise formelle de l'universalité, logique de sécurisation historique.
Reconsidérer le principe autrement, i.e. comme alliance, tel est l'enjeu phénoménologique du présent ouvrage : loin de tout Deus ex machina, elle est le jeu de la différence initiatrice, de la pluralité unitaire, de la donation herméneutique. Ainsi, au principe, l'alliance fait être et fait temps. Elle est notre première promesse.
" Le prisonnier est un être sacré parce que c'est un être livré et qu'il a perdu toutes ses chances.
Si cet homme s'est rendu personnellement responsable d'actes criminels, il doit être jugé ". Au lendemain de la guerre, Robert Antelme, tout juste libéré de Buchenwald et de Dachau et venant d'apprendre la mort de sa soeur en déportation, rédige un long article sur le sort à réserver aux criminels allemands. Devant les violences qui leur sont infligées, il déclare l'exigence absolue du droit contre l'instinct de vengeance.
Il sait qu'il choquera certains rescapés ; mais il écrit au nom d'idéaux simples que sont " la justice, la liberté et le respect de l'homme ". Loin d'être un simple texte de circonstance, Vengeance ? constitue une réflexion de fond sur la question du droit et de son origine. Sans aucune référence à la notion chrétienne de pardon, Robert Antelme enjoint ses concitoyens à renoncer à toute vengeance : même lorsqu'un homme est légitimement privé de sa liberté, il doit conserver sa dignité.
Toute atteinte au respect dû à la personne humaine (fut-elle coupable) constitue un acte de barbarie.
Cet ouvrage propose de souligner le passage de l'être à la lettre en mettant l'accent sur la rupture avec l'ontologie. Il décrit le mouvement allant de l'un à l'autre dans une sorte de «?séparation liante?» (AHN, p. 185) qui n'implique guère de reniement - ni d'un côté ni de l'autre. Il ne propose pas de synthèse, mais une autre distribution d'accents. Dans un premier temps, l'auteur s'interroge?: cette façon de penser conduit-elle Levinas «?hors du champ de la philosophie?»?? Puis il met Levinas «?à l'épreuve de l'autre?», en le confrontant - toujours à partir de la perspective judaïque - à des auteurs tel que Rosenzweig sur les questions de l'éducation, Meschonnic sur la modalité du sacré, Blanchot sur l'être Juif, Janicaud au sujet du tournant théologique qu'il aurait imprimé à la phénoménologie, ou encore Benny Lévy sur l'attachement marqué de Levinas au «?grec?», à savoir à la philosophie. Toutefois, l'originalité de l'ouvrage réside dans la comparaison à des auteurs beaucoup moins connus dans notre espace européen?: à Leibovitz pour lequel le judaïsme est une «?religion revendicative?», assignant l'humain aux commandements?; à Israël Salanter - fondateur du Moussar à Kovno, en Lituanie?; au rav Soloveitchik sur la question de la halakha. Mais aussi à un penseur étonnant et tonique, Daniel Epstein qui nous a livré, en hébreu, une présentation magistrale, précise et en nuances.
« À quoi bon des poètes, en temps de détresse ? » La question de Hölderlin, placée par Heidegger au centre de sa réflexion sur la poésie, impose à tout poète de l'après Seconde Guerre mondiale le double impératif de dire et taire l'événement représenté métonymiquement par un nom tel que Buchenwald. Et c'est pourtant à un récit, genre plus que tout autre soumis au risque du bavardage, que Giorgio Bassani a choisi de répondre à ce double bind : depuis les marges de la communauté juive de Ferrare, du vert paradis des amours enfantines, il construit une oeuvre qui s'accomplit autant comme témoignage illisible que comme rachat, don de sens.
La lèvre de Micòl est ainsi une réflexion sur la possibilité moderne du récit, une entreprise de refonte de ce que peut être la lecture, la réception d'un récit, afin d'y trouver des modes de propagation particuliers qui l'accomplissent de manière radiale, verticale. Si, comme le rappelle Jacques Derrida, « la langue, c'est en hébreu la lèvre », ce livre cherche à se porter vers la volonté qui fut celle de Bassani, écrivain italien majeur trop méconnu en France, de construire un personnage féminin, Micòl, qui dans un corps fait langue, rachète la dispersion insupportable des corps perdus, dans un récit qui trouve dans le lyrisme l'économie d'une efficacité politique.
On appellera " démophobie " toute méthode de contournement ou de rejet de la " parole" du peuple qui procède de l'allergie, de l'appréhension ou de la défiance que ce même peuple suscite, qu'on l'estime " ignorant ", victime de ses affects - surafecté ou désaffecté.
Elle est le propre des gouvernements, chaque fois que, confrontés à une contestation ou des revendications " populaires " qui les dérangent, ils commencent par minimiser cette parole ou la discréditer. Mais elle constitue aussi le point commun aveugle des théoriciens qui fustigent les " dérives " de la démocratie et se méfient des élections et de leur résultat, quand ils ne lui refusent pas toute légitimité.
En interrogeant les présupposés de ces pratiques et de ces théories " démophobes ", le présent essai entreprend de redonner son sens au suffrage " populaire " et d'en rétablir les enjeux.
Peut-on élucider le sens de la phénoménologie ? La première section est consacrée à Husserl, la seconde à Hannah Arendt et la troisième à l'expérience phénoménologique d'autrui. La première partie vise à montrer que la phénoménologie de Husserl porte en elle des thèmes par lesquels elle se soustrait au cadre métaphysique dans lequel elle s'est formée. La deuxième partie prétend que la phénoménologie politique de Hannah Arendt conduit à une mise en question de l'idéologie des droits de l'homme mais aussi à une justification de l'idée des droits de l'homme. Cette section comprend en elle la reproduction d'un débat oral qui avait eu lieu sur France culture entre Claude Lefort, Alain Finkielkraut et Robert Legros. La troisième partie porte sur l'expérience phénoménologique d'autrui. Elle montre que cette expérience prolonge et renouvelle d'une part la conception kantienne de l'expérience du proprement humain, et d'autre part la conception tocquevillienne de l'expérience du semblable. L'examen de l'expérience phénoménologique d'autrui s'achève par une confrontation entre Arendt et Levinas.
vaut-il encore la peine de lire ou de relire marx ? comment considérer une pensée dont la mise en pratique a connu un échec si retentissant qu'il invaliderait de fait la " philosophie " qui la fonde ? telle est l'interrogation inaugurale de gérard bensussan qui cherche à repenser l'entreprise marxienne de sortie hors de la philosophie et à en montrer l'ambition, les écueils et les promesses.
trois grandes thèses directrices et polémiques conduisent l'argumentation de l'auteur, dont le but tend à réfuter un grand nombre d'idées reçues selon lesquelles, par exemple, il existerait un matérialisme ou une politique de marx. gérard bensussan préfère substituer à ces clichés de nouveaux concepts d'interprétation de l'oeuvre de marx. plus de vingt ans après le dictionnaire critique du marxisme qu'il a dirigé avec g.
labica, l'auteur revient sur une pensée en excès qui a continué de l'accompagner dans ses lectures de schelling, rosenzweig ou levinas.
Cet essai propose de contribuer au développement d'une cosmologie phénoménologique, dans la voie ouverte par Fink, Pato ka ou Renaud Barbaras. Au regard de cette approche, il faut combattre le naturalisme, car les choses (les phénomènes) ne sont pas des systèmes matériels réductibles en dernière instance à leurs constituants élémentaires. Mais face au subjectivisme, les phénomènes ne sont pas non plus assimilables à leur sens constitué dans la conscience. Celle-ci, comme toute chose, est située dans le monde, lequel seul fait apparaître tout ce qui est. Apparaître signifie entrer en présence, accéder à l'individuation par un mouvement qui a pour fond producteur le monde lui-même, mouvement dont on soutient dans ce travail qu'il est une structure essentielle de l'apparaître, ou ce que Husserl aurait nommé un a priori matériel. Reste à comprendre comment la conscience peut accéder à de telles structures, si elle est elle-même limitée par la constitution finie des facultés anthropologiques qui médiatisent son ouverture. La cosmologie phénoménologique d'inspiration réaliste doit-elle réinvestir l'opposition kantienne entre choses en soi et phénomènes?? Il faut surtout montrer comment la conscience, en dépit de sa finitude, a accès à l'absolu en tant qu'il se montre, et envisager ainsi la phénoménologie comme voie méthodologique vers une forme renouvelée de métaphysique.
L'importance de l'herméneutique pour Ricoeur nous a fait sous-estimer le rôle de la phénoménologie dans sa pensée. Une lecture attentive de son oeuvre montre qu'au contraire, lorsqu'il s'agit de l'imagination, Ricoeur défend une perspective proprement phénoménologique. Celle-ci, esquissée par Ricoeur dans sa traduction française des Ideen I, met en avant la capacité de neutralisation de l'imagination et se révèlera indispensable à sa philosophie de la volonté des années 1950-1960. Mais c'est dans les années 1970 que Ricoeur va développer une ontologie sociale, que Luz Ascarate met en dialogue avec la nouvelle génération de la Théorie critique, autour du concept d'utopie. Cette ontologie est fondée sur une phénoménologie de l'imagination approfondie dans des textes encore inédits. Dans ces textes, Ricoeur montre que l'imagination est d'autant plus chargée d'implications ontologiques qu'elle est neutralisante et éloignée de la réalité empirique. Grâce au pouvoir ontologique de l'imagination pour la constitution de l'espace social, l'utopie peut constituer de nouvelles réalités sociales.
Préface d'Alexander Schnell « Parce que les choses sont toutes différentes de ce qu'on en voit en mendiant ainsi les choses t'ont fait grand. Et peux-tu encore nous dire quand ? Une nuit, une nuit le temps d'une nuit et elles nous parlaient autrement. » (R. M. Rilke, La folie. Livres des Images, Insel Verlag 2000, p. 16 -17). Depuis Kant, les choses « en soi » font « scandale » pour une phénoménologie qui ne s'occupe en vérité que de leur apparaître pour nous. Or, le paraître pur des choses, leur « faire monde » précède à toute expérience comme à tout acte de connaissance. C'est la rencontre avec cet Inconnu qui est au coeur d'une autre phénoménologie, différente de celle préconisée par Husserl ou Fink. Avec la pensée de M. Richir sur la « phantasia-affection », avec les Rêveries de J.-J. Rousseau, avec la nouvelle d'A. Camus entre L'exil et le royaume, finalement avec l'Hymne à la nuit de Novalis et les Dinggedichte de Rilke, elle fait une entrée « en différé ». Car « tout ce qu'on destine à faire partie du monde est en chute libre est comme pose sur une vague » (op. cit., p. 36).
L'Idée de l'Infini a été découverte par Descartes dans les Méditations Métaphysiques. Il restait après Descartes à élucider la signification de cette Idée éminente par la concrétisation de son contenu. L'expérience vécue qui articule concrètement le développement de l'Idée de l'Infini est la socialité. En elle, la présence de l'être transcende l'horizon limitatif de la découverte intellective de la compréhension ou constitution de l'être a partir de sa mise en lumière. L'Idée de l'Infini révèle ainsi une face nocturne des événements de l'être échappant à l'ontologie qui gouverne la philosophie occidentale. Le débordement de l'être sur l'ontologie coïncide sans reste avec l'éthique. Lui seul permet d'annoncer la venue dans l'être de la paix messianique par-delà l'ontologie de la guerre et les illusions de la morale. Suivant Levinas en son chef-d'oeuvre de 1961, Totalité et Infini, nous interrogeons dans ce livre le sens d'une telle présence éminente de l'être en ses événements ultimes essentiellement nocturnes. Nous cherchons à montrer pourquoi la sensibilité, la socialité, l'éros et la fécondité représentent autant d'expériences paroxystiques de l'être dont la production échappe par principe à la lumière de l'ontologie. C'est à l'élucidation de tels événements clandestins que se consacre le présent essai.
Roland Barthes ne s'est pas d'abord intéressé à la question de la théâtralité.
Il n'en est pas non plus devenu à proprement parler un théoricien. Mais il a poussé la réflexion au-delà des catégories, des champs et des objets attendus. Il s'est d'abord intéressé au théâtre. Au théâtre joué, organisé, monté et au théâtre des signes que se donne une pratique pour exister, se transformer et se faire reconnaître. L'analyse des pratiques a commencé avec la littérature ; elle s'est poursuivie avec le théâtre et la mythologie.
C'est dire que Barthes ne pouvait interroger du théâtre que le théâtre, un redoublement qu'il lui est arrivé de nommer la théâtralité. C'est dire aussi que cette théâtralité se trouve partout. Se trouve-t-elle partout identique à elle-même ? Autrement dit, la théâtralité est-elle indifférente au support qu'elle modalise ? Peut-on en donner une définition exclusive ? Quel est l'enjeu, quelle est la fonction, quelle est la valeur de son application obstinément hétérogène ? Quel concept déterminé du théâtre présuppose-t-elle ? Quel apport à la réflexion esthétique fournit-elle ?
Découvrez Ecologiques, le livre de Michel Deguy. " Tout exposé en " moi-je " a quelque chose d'indécent " écrit Michel Deguy. Et il ajoute un peu plus loin : " Quand il n'y a plus de choses, il n'y a plus de monde ". Par Ecologiques, il faut donc entendre ce que Michel Deguy nomme une vision, la vision elle-même ne pouvant être qu'écologique, car entièrement vouée à transporter le phénomène par l'imagination. De transport en transport, la fable se constitue. Elle se fait tour à tour poème, fragment, discours, philosophème et biographème. Il y va à chaque fois du monde, habitable et habité, de l'humanité, d'une mutation anthropologique qui interroge le penseur, le poète et la politique. Retour à l'existence humaine, à notre triple finitude : subsolaire, mortelle et langagière. L'écologie n'est pas un humanisme. Il ne s'agit plus aujourd'hui principalement de l'homme défini comme centre de l'univers, ou valeur absolue, ou vie-nue à préserver à n'importe quel prix, ou propriétaire, ou méritant la richesse, ou but ultime de la science, télos récurrent à chaque étape de progrès scientifico-technique. La politique ne suffit pas, ne se fonde pas sur elle-même, n'est pas autonome. Peut-être ne pouvons-nous plus parler de ce qui nous sépare dans le leurre du dialogue. Beaucoup plus de même ET beaucoup plus d'altérité ! " Tolérance " !
Granel s'engage dans une analyse historico-historiale visant à déterminer la " loi la plus intime " de notre monde. Le noeud thématique qu'il retient dans les textes réunis dans ce volume est celui de l'" automate " dont il montre qu'il possède un triple nouage historique : la substantication par Platon de la psychè automate, qui dessine la figure de la pensée comme mathesis ; l'universalisation par Descartes de l'idée de mathesis, dont le moteur est une logique de l'infinité induisant un devenir-ingénieur de l'esprit et une détermination du savoir comme savoir " automate " ; la propagation, mise en évidence par Marx, du principe d'infinité à tous les domaines d'activité, qui transforme le monde lui-même en une vaste " accumulation de marchandises " ne connaissant d'autre loi que celle imposée par la " substance automatique ".
Démêler le n?ud de l'automate fait donc lever la question suivante qui fut celle de Nietzsche avant de devenir celle de Heidegger, et qui est aussi celle à laquelle nous confronte le versant non métaphysique des analyses de Marx : comment nous départir de notre appartenance à un monde qui semble périmer tout avenir ?
Préface de Marc de Launay Traduction d'Isabelle Kazlinowski et Marc de Launay Pourquoi pendant près de deux millénaires a-t-on pensé l'oeuvre d'art comme une imitation de la nature ? Comment la conception grecque de l'art au sens large a-t-elle pu être conciliée avec la doctrine chrétienne de la création ? La réponse à ses questions fait apparaître les arrière-plans philosophiques et théologiques des grands tournants fondateurs de la modernité esthétique. Cette dernière repose également sur la tentative sans cesse renouvelée d'articuler le sens des oeuvres et l'histoire de leur genèse, plus encore l'historicité même qui les parcourt : la critique de la tradition philosophique du concept débouche alors sur une anthropologie où la notion de métaphore permet de relire l'histoire des tentatives de définir l'homme en réhabilitant la rhétorique. La critique de la philosophie ne s'appuie pas alors sur un scepticisme finalement relativiste, mais permet au contraire d'intégrer l'historicité essentielle du langage à la compréhension des oeuvres. L'originalité de la pensée de Blumenberg est là : entrecroiser Nietzsche, Cassirer et Husserl pour dynamiser la modernité philosophique dans la perspective d'une phénoménologie de l'histoire qui ne peut plus désormais se passer de l'art.
Ce livre est l´histoire d´un cheminement à travers des idiomes qui sont autant de formes, de rythmes, de noms, dans la multiplicité des questions posées pour dire ce qu´est l´impatience des langues. Ce cheminement philosophique va de la patience du concept à l´impatience de son refus. Il est comme l´incessant recommencement du « refus de la patience du concept » dans l´entrelacs de langues aussi prometteuses que menaçantes, puisqu´elles accueillent l´aléatoire du temps tout en demeurant exposées à la ruse exorbitante du concept. Sur le chemin de l´impatience des langues, des questions se pressent. Y a-t-il un temps de la politique ? À quels usages des langues et de leurs entre-traductions est assigné ce temps ? Peut-on penser une justice sans destin et sans téléologie ? Pourquoi et comment l´amour vient-il faire effraction dans ces mouvements ? La mémoire oublieuse et infidèle est-elle une condition du partage et de la promesse ? Et le messianisme, pourquoi en parler aujourd´hui ? Quelles langues, pour quelle éthique ?
Écrire sur Blanchot est un défi, tant son oeuvre est diverse, variée. Chercher à l'organiser autour d'une unité conceptuelle, littéraire ou philosophique semble une tâche vaine, voire contradictoire. Dès lors, il ne faut pas prétendre à en faire une présentation synthétique, unifiée et unifiante. Au contraire, le critique doit se montrer humble et réduire son ambition en-deçà : seul un « avant dire », qui n'est évidemment pas un « avant lire », peut accompagner, en toute fidélité, l'itinéraire de cet écrivain, et éclairer çà et là une oeuvre qui recèle encore bien des inconnus. Tel est l'enjeu de ce livre : des fictions aux écrits théoriques, de la politique aux rencontres à la fois philosophiques et poétiques, Michael Holland examine avec précision les parcours multiples et parfois contradictoires qui traversent cette oeuvre et en sont comme la « marque ».
Dans cet ouvrage d'entretiens avec Danielle Cohen-Levinas, Miguel Abensour explore la pensée philosophique d'Emmanuel Levinas en interrogeant ce que le philosophe appelait " l'importance extrême dans la multiplicité humaine de la structure politique de la société soumise aux lois et dès lors aux institutions où le pour-l'autre de la subjectivité - le moi - entre avec la dignité du citoyen dans la réciprocité parfaite des lois politiques essentiellement égalitaires ou tenues à le devenir " (Paix et proximité).
Si Levinas n'est pas un penseur de la politique, il n'a cessé toutefois d'y revenir, avec insistance, notamment dans Autrement qu'être ou au-delà de l'essence, au terme d'une réflexion sur la justice. Ainsi pensée, la politique, de par la prise en considération du tiers, devient le temps du passage de la dissymétrie de la relation éthique à la réversibilité, la réciprocité entre citoyens. Aussi est-il légitime de soutenir que Levinas, loin d'avoir recours à l'éthique pour déprécier la politique, invente plutôt entre les deux sphères une articulation originale qui vise à rendre à la politique sa consistance et sa dignité, à renouveler en quelque sorte la question politique.
La proposition levinassienne, de par le rapport qu'elle instaure avec la justice et plus profondément avec la proximité, aurait pour effet de " relativiser " la politique en la posant et en la pensant en regard d'une autre instance, l'éthique, qui naît de la responsabilité pour autrui. Invention de Levinas, car il réussit au sein de la modernité, à élaborer un dispositif proche, formellement tout au moins, de celui des philosophes politiques classiques qui, en pensant la politique en regard de la métapolitique - l'excellence, la quête du bien-vivre, la vie juste - lui conféraient, grâce à cette relativisation, irréductibilité et différence.
Du même coup, Levinas évite les deux écueils qui menacent la politique dans la modernité, soit le technicisme qui réduit la politique à une techné permettant de " gérer " les contradictions qui traversent une société donnée - de nos jours " la gouvernance " -, soit l'absolutisation au sens où la dissolution du complexe théologico-politique recentre la politique sur son axe, sur elle-même, l'autonomise jusqu'à faire naître chez certains le vertige de la politique se transformant en religion.