L'ouvrage ici présenté ne prétend pas constituer une histoire de plus de la philosophie grecque. Pour tenter d'en résoudre l'énigme, il propose une histoire à deux caractéristiques typiques : 1) elle est gouvernée, des premiers Milésiens jusqu'aux Néo-platoniciens tardifs, par une idée qui sert de trame. Autrement dit, ce n'est pas le récit d'une évolution des systèmes sur un mode paisiblement chronologique, mais l'illustration d'une formidable guerre dans la pensée, d'un « combat de géants » que j'ai déjà évoqué dans d'autres ouvrages, et qui demande d'interroger le fait majeur d'un « virage dans la pensée » dont l'Occident provient ; 2) cet aspect polémologique de la première philosophie m'a semblé reposer sur un changement de paradigme : on serait passé d'une pensée-mouvement, ambiguë, s'intéressant non pas aux êtres et aux choses, mais à l'intervalle ou l'interstice entre ces entités, et voyant dans cet intervalle le mouvement vif de la réalité et le gage paradoxal de sa stabilité contrastée - à une pensée-substance, tenant les formes diverses (corps et en concepts), pour des réalités arrêtées et « absolues », entre lesquelles nul partage n'existe que hiérarchique, les unes pleinement positives, vouées à prendre la direction des affaires, les autres traînant leur vie d'inférieures au service des premières. Je fais l'hypothèse que ce passage d'une pensée à un autre a laissé sa trace dans la forme « duel » du grec, dont on peut noter qu'elle disparaît en latin : ni « un » ni « deux », mais l'unité duelle d'un conflit créateur, aucun des antagonistes n'ayant de raison de céder devant l'autre. La pensée grecque, sous sa forme crépitante, serait l'histoire de ce paradigme perdu et de la longue bataille qui en est résultée.
L'ouvrage est destiné à tout public, excepté les notes en encadré, plus techniques
La compassion est devenue, peu à peu, dans notre aire culturelle mondialisée, le signe de l'" humanité " en nous. À présent, sa domination non seulement sur la morale mais sur la représentation que les hommes se font d'eux-mêmes comme de leurs rapports sociaux et politiques, est si indiscutable qu'une idéologie récente comme celle du " Care " (soin, sollicitude, souci de l'autre, aide apportée à l'autre) s'y enracine entièrement. Pourquoi un tel empire ? Pour le comprendre, ne faut-il pas se demander quand et comment l'identification de la vertu d'humanité à la compassion s'est produite ? C'est là l'un des objectifs du présent essai qui prend son départ dans l'articulation du problème philosophique suivant : la compassion relève-t-elle de l'amour ou de la justice ? Il m'a semblé qu'une fois définie la compassion et retracées les grandes étapes de son histoire conceptuelle (d'Aristote à Levinas), une importance toute particulière devait être accordée à la position de Nietzsche, pour qui le respect du malheur que nous nous imposons au nom de la morale représente le pire des malheurs qui puisse frapper l'humanité considérée dans sa globalité. P A.
« Mais quelle est la source de cette force qui nous laisse sans peur devant la source de la peur, sans désarroi devant la source du désarroi ? À quelle puissance la joie trouve-t-elle soudain cette force qui lui permet de résister à l'effet corrosif d'une tragédie à laquelle elle s'expose ? Telle est la question essentielle à laquelle nous devons enfin proposer une réponse. ».
Voici ce dont un Clément Rosset d'à peine 21 ans rapporte l'expérience et l'analyse dans cet essai inédit qui préfigure de manière originale bon nombre de ses réflexions ultérieures, et notamment celle-ci : l'impossibilité de rendre raison de la joie tragique, lucide d'exister.
La mort d'Agrippine, la seule tragédie que Cyrano de Bergerac ait écrite, fit scandale pour ses "belles impiétés" : elle met en scène le libertinage de pensée le plus radical, dans un monde politique machiavélien d'une noirceur, d'une cruauté et d'une violence inouies. Il est temps de redécouvrir la sombre splendeur et le potentiel critique de cette oeuvre sulfureuse et aujourd'hui trop méconnue, dont l'un des héros principaux, Séjanus, "soldat philosophe" ouvertement athée, tient des propos de "déniaisé" imprégnés de la philosophie de Lucrèce, et fait écho à toute une littérature clandestine dénonçant, en ces mêmes années, autour de Cyrano, l'invention et l'utilisation politique des religions.
Mais dans l'horizon de cette politique baroque où tout est feinte, mensonge, dissimulation, l'épicurisme subit des distorsions étranges, et l'émancipation de l'"esprit fort" à l'égard des croyances asservissantes et des importures théologico-politiques ne débouche que sur un échec spectaculaire et une sanglante mise à mort.
Le teste de La Mort d'Agrippine est précédé d'un essai préfaciel de Jean-Charles Darmon ("L'Athée, la politique et la mort : variations sur "de belles impiétés"") qui s'emploi à situer ses questionnements corrosifs dans l'oeuvre de Cyrano et au sein de la réflexion politique complexe de ceux que l'on nomme les "libertins érudits" du premier XVIIe siècle français. En annexe figurent d'autres extraits de l'oeuvre de Cyrano (des Lettres satiriques aux Etats et Empires de la Lune et du Soleil) où divers thèmes récurrents de la pensée libertine en matière de politique affleurent sur des modes spécifiques.
Olivier Bloch et Antoine Léandri proposent ici une nouvelle traduction de l'Ethique à Eudème d'Aristote, qu'ils ont effectuée d'après la dernière édition critique de l'ouvrage, celle de Richard Walzer et Jean Mingay (Oxford Classical Texts, 1991), non sans s'en écarter lorsque cela leur a paru nécessaire, comme ils s'en expliquent dans les notes. Il est question ici de choses aussi bizarres et désuètes que le bonheur, le courage, ou l'amitié, et par raccroc le plaisir, l'intelligence, la santé, la justice, la politique, le divin, etc. L'introduction précise la nature de l'oeuvre, et les problèmes qu'elle pose, par son titre, par ses rapports avec l'autre " Ethique " aristotélicienne, la plus notoire, l'Ethique à Nicomaque, du point de vue de leur ton, de leur contenu, de leur structure (les deux ouvrages comportent trois livres communs, lesquels, comme c'est la règle éditoriale, ne sont pas traduits ici), de leur différence et de l'interprétation qu'il faut en donner (question, en particulier, de l'évolution prêtée à la pensée d'Aristote par nombre de commentateurs). Elle se termine sur un aperçu concernant l'établissement du texte. Ces préliminaires, comme la traduction elle-même, les notes de bas de page critiques et explicatives qui l'accompagnent, et la bibliographie sélective qui s'y ajoute, s'adressent à la fois à l'amateur éclairé, auquel ils devraient rendre l'ouvrage accessible, et aux spécialistes dont on espère qu'ils pourront y trouver intérêt dans leurs enseignements et leurs recherches.
Les études réunies dans ce livre portent sut l'histoire de la philosophie antique, des présocratiques aux stoïciens, avec une préférence pour Aristote. L'ouvrage regroupe des articles parus dans diverses revues et des contributions à des ouvrages collectifs ; certains textes sont inédits ou inédits en français.
Entendre la parole des Anciens exige de nous un effort particulier, puisque le monde qui était le leur a disparu. Or la philosophie, bien qu'elle vise à l'universalité, fait malgré tout partie d'un monde ; elle entretient une correspondance étroite avec des formes culturelles (religion, art, littérature) qui avaient élaboré des évidences dont certaines étaient si fondamentales, si consubstantielles à l'être-grec, qu'elles allaient sans dire. La philosophie elle-même ne les énonçait pas, c'est pourquoi l'histoire de la philosophie se doit de dire ce qui, à l'origine, allait sans dire, afin de faire appréhender au lecteur actuel des évidences qui, depuis, se sont déplacées.
Faire surgir ces évidences oubliées exige que l'on se dépayse et que l'on vive soi-même dans le monde dont on parle. Démarche de patience et de douceur, qui ne cherche pas à faire comparaître les textes du passé devant le tribunal de la modernité, mais qui s'avance à l'écoute de cette parole archaïque, vers elle qui a fait tant de chemin vers nous.
Quand on lit Aristote dans son texte, on est frappé par la fréquence du retour d'expressions comme « la science de la chose », « à partir de la chose elle-même », « dans la nature de la chose » ; les physiciens présocratiques n'ont pu deviner l'essence, dit Aristote, que parce qu'ils ont été « poussés par la chose elle-même ». Si ce retour insistant ne se manifeste pas toujours dans la version française du texte, c'est parce que le terme grec de pragma/p???µa recueille en lui tout un faisceau de sens que la traduction fait éclater en termes distincts : p???µa se traduit par chose, mais aussi par cause, au sens juridique du terme, et par affaire. ????µa recouvre donc le champ des choses naturelles, mais aussi celui de la politique ; qui est l'affaire de tous et la cause d'un chacun, et que les Anciens nommaient « affaires communes » et « chose publique ». Ce sens anthropologique s'est oblitéré de nos jours, si bien que la signification de p???µa est beaucoup plus large que celle du vocable moderne de chose.
La largeur du champ de p???µa invite à faire porter l'analyse sur l'ensemble de l'oeuvre d'Aristote. Sous son aspect négatif d'abord, avec la critique de là sophistique et du platonisme ; sous son aspect positif ensuite, tel qu'il se déploie en trois perspectives essentielles : la relation de l'homme aux choses par la connaissance ; la nature propre de la chose concrète telle qu'elle subsiste par soi dans la nature ; la réalité politique, qui certes est l'oeuvre de l'homme, mais qui aussi subsiste à l'extérieur de lui dans la Cité d'une manière autonome comme ré-publique.
On sait que les textes publiés par le Stagirite ont été perdus, et que le Corpus est constitué de notes de cours rédigées à des époques différentes. C'est dire que le philosophe méditant les écrits d'Aristote ne peut faire l'économie de considérations philologiques, lesquelles ne sont pas ici surcharge érudite mais font corps avec l'interprétation. Ainsi, l'étude précise de l'évolution d'Aristote dans sa théorie du sentir éclaire la genèse du traité De l'âme et invite à reconsidérer le problème de la date de sa rédaction.
On résume souvent par le mot de « réalisme » l'inspiration de la pensée d'Aristote, réalisme « naïf » ajoutent certains naïfs pour désigner une pensée parfaitement au fait de ses présupposés. Mais si le réalisme se définit comme visée du réel, il se trouve affecté d'une énorme ambiguïté puisque la réalité est ce que tente d'exprimer toute philosophie. Une inspiration philosophique va donc se caractériser par le lieu particulier où elle invente de situer ce réel énigmatique ; si Aristote ramène la philosophie du ciel sur la terre c'est parce que, refusant de voir ce réel dans un monde idéal séparé, il veut lire l'essence dans les choses de ce monde, les p???µata. Le recours ici fait, à travers la pensée d'Aristote, au sens ancien de p???µa vise à revaloriser la notion de chose, à lui redonner l'ampleur qu'elle a perdue en se bornant à désigner de nos jours l'objet simplement inerte.
Le premier livre d'André Leroi-Gourhan, publié en 1936, méritait bien une seconde édition. La Civilisation du renne, dédiée à Marcel Mauss, est certes un livre de jeunesse, comme le pointe Lucien Febvre, mais c'est aussi un livre-promesse, un livre-jalon, car l'ambition extrême de l'auteur, alors âgé de 25 ans, le pousse à multiplier les incursions dans un nombre considérable de disciplines (géographie, ethnologie, technologie, préhistoire, orientalisme) qu'il entend coordonner afin d'étudier, en dépit de l'éloignement temporel et du déplacement des milieux climatiques, trois époques d'une même culture du renne en milieu arctique (toundra-taïga) : dans l'Europe du Pléistocène, chez les Eskimos actuels, chez les peuples qui ont domestiqué l'animal.
Le livre est impressionnant par « une masse de faits et d'idées à méditer, et de perspectives singulièrement larges sur le plus lointain passé de l'humanité » (Febvre encore). Il annonce tant les maîtres-livres de l'auteur sur la technologie, que son livre illustré sur la Préhistoire de l'art occidental (1965) ou encore son chef d'oeuvre qui sut toucher un large public cultivé au-delà des spécialistes, Le Geste et la parole, dans lequel l'auteur interroge l'avenir de l'homme en prenant appui sur son passé à l'échelle paléontologique.
« Ce petit livre est consacré à une dernière (je l'espère pour moi et pour mes lecteurs) tentative d'analyse et de description de la joie de vivre et de la joie d'exister. » Clément Rosset
Pourquoi - au moins dans le monde désenchanté " qui est le nôtre - l'être humain se sent-il porté à créer? Que cherche-t-il, que vise-t-il à atteindre en allant " au fond de l'inconnu pour trouver du nouveau "? Cette finalité est-elle d'ailleurs la même à toutes les époques, ou change-t-elle de visage au cours de l'histoire? Quelles différences y a-t-il entre créer et s'exprimer, mais aussi entre créer, produire, faire et oeuvrer? Quelles distinctions, au plan éthique, faut-il opérer entre créer et procréer? Si l'on a toujours le plus grand mal à " expliquer " l'acte créateur dans tous ses tenants et ses aboutissants, l'on petit quand même espérer en comprendre le ressort intime et secret en partant de la considération des enjeux qu'il met en branle.
Aussi la théorie " esth/éthique " dont ce livre trace les linéaments ne consiste-t-elle pas en une théorie générale de la création mais en une théorie de l'enjeu éthique auquel s'attache l'acte de créer dans le cadre de ce qu'il est convenu d'appeler la modernité occidentale. Dans ce contexte, et dans la perspective d'une intrication de l'éthique et de l'esthétique, l'acte de créer apparaît alors comme cet événement générateur et généreux, singulier et singularisant, vital et vivifiant, qui élève en plein coeur de la vie comme une protestation de survie, à tous les sens du mot " survie ".
Le grand savant allemand Wilamowitz-Moellendorff qualifiait Paul Tannery « d'autodidacte de génie ». Venant d'un des plus grands hellénistes du XIXe siècle, le compliment était de taille. Paul Tannery, ancien polytechnicien, passionné par les textes grecs et latins, fut considéré comme un important historien des sciences et des mathématiques.
Son travail majeur, Pour l'histoire de la science hellène, connu le succès dès sa parution en 1887 et fut réédité en 1930 tant son autorité demeurait forte. Texte important pour qui veut appréhender l'histoire de la science grecque au temps des présocratiques, Pour l'histoire de la science hellène reste encore aujourd'hui une mine de renseignements tant pour les philosophes et les épistémologues que pour un public en quête de redécouvertes des origines philosophiques de notre civilisation. Sans jamais vulgariser ou simplifier, Paul Tannery a cette capacité de permettre au lecteur de circuler dans le monde de l'époque. Mettant en correspondance les penseurs qu'il évoque, Tannery montre comment chacun, à la fois innove mais également se nourrit de la pensée de l'autre, reconstruit, se distingue, à une période où débute la science grecque - arithmétique, géométrique, astronomique - et où prend naissance, ce que plus tard on appellera, la philosophie.
Cet ouvrage essentiel, tant par sa clarté que par sa pédagogie, rend l'histoire de la science grecque compréhensible sans pédanterie. S'appuyant sur la recherche la plus récente concernant la doxographie, cette nouvelle édition, revue et amendée, reprend, en complément, des notices de revues parues à la suite de la première puis de la seconde édition. D'autres notices précisent sa bibliographie et son parcours personnel. Des dossiers complémentaires permettent à la fois d'offrir des vues synthétiques sur certains chapitres et d'ouvrir sur des horizons plus contemporains.
Adrien Baillet offre une traversée du dix-septième siècle européen : 1596, naissance de René Descartes, 1691 : publication de La Vie de Monsieur Descartes. Cette biographie n'est pas uniquement l'histoire de la vie privée et publique de Descartes, entouré de ses amis et répondant aux controverses, ni seulement l'histoire de l'élaboration de ses oeuvres philosophiques et scientifiques, de leur publication et de leur réception en Europe, c'est aussi l'histoire du cartésianisme. C'est une somme unique sur la vie intellectuelle européenne, une véritable Encyclopédie avant l'heure.
Cette édition annotée avec orthographe modernisée, sources explicitées et discutées, est une nouveauté éditoriale qui va permettre aux lecteurs contemporains d'avoir accès à un écrit majeur du XVIIe siècle sur Descartes, ses livres publiés et ses manuscrits dont certains ont été perdus. Baillet cite avec talent la vaste correspondance de Descartes. Il se réfère aussi à d'autres lettres, en particulier celles de Mersenne, de Gassendi, de Saumaise et de Sorbière - qui éclairent des thèmes philosophiques et scientifiques -, et celles de Chanut, ambassadeur de France en Suède, qui précisent le portrait de la reine Christine et les récits sur la mort de Descartes.
L'édition critique de la grande biographie de Descartes par Baillet enrichit, en le contextualisant, un texte irremplaçable, passionnant et foisonnant. Les notes expliquent les termes tombés en désuétude, les notions scientifiques, philosophiques, religieuses, politiques et clarifient les vifs débats.
Mystérieuse. C'est ainsi qu'est né ce petit livre : de la perplexité d'élèves de Première désireux de faire connaissance avec la Philosophie durant leurs vacances d'été. S'il existe en effet beaucoup de manuels et d'ouvrages scolaires, aucune initiation préalable ne répond à cette situation unique et singulière.
L'auteur a donc tenté de combler une lacune en guidant le plus agréablement possible l'élève qui vient de terminer sa Première vers des travaux plus documentés, plus précis et, bien sûr, vers les textes fondamentaux des grands philosophes. Ces trente mini-leçons, correspondant aux trente jours d'un mois d'été, constituent, du fait des circonstances de leur composition, le testament philosophique de l'auteur à l'usage des jeunes générations.
La langue claire, élégante et mesurée, le ton souriant de cet ouvrage sans pesanteur le destinent à tous ceux qui s'intéressent aux enjeux de la réflexion philosophique. Puissent-ils y prendre plaisir et tomber sous son charme !
Sourire résigné. - Un autre fera ce que je n'ai pu faire, je ne suis, peut-être, que le primitif d'un art nouveau. Puis, une sorte de révolte effarée le traverse. - C'est effrayant, la vie, ! Et comme une prière, dans le soir qui tombe, je l'entends qui, plusieurs fois, murmure : - Je veux mourir en peignant, mourir en peignant...
Cette vie est en même temps sa propre invention, saisie et voulue comme telle. Elle met en scène les actes de rupture, les créations et les fulgurances qui sont en fait le déploiement même du Désir et de la liberté. Dans le mouvement concret de la vie, dramatique ou comblée, prend place aussi le mouvement de la réflexion.
L'auteur suit le fil mnémonique de sa propre pensée et rend compte du travail et de la gestation de chacun de ses livres. L'oeuvre qui a exprimé et construit la vie heureuse est ici éclairée en retour par cette vie même. Une vérité, ni morale ni psychologique, prend forme peu à peu : au-delà de toutes les idéologies du siècle, une philosophie du sujet et de la liberté peut être à la fois le miroir d'une vie et la source même de cette vie.
C'est la pensée de la liberté heureuse qui crée et la liberté vraie et la joie.
publiée pour la première fois en 1885, l'esquisse d'une morale sans obligation ni sanction nous propose une théorie éthique inspirée par l'évolutionnisme et la psychophysiologie naissante.
son principe, la tendance de la vie à plus d'expansion et plus d'intensité, permet à son auteur, jean-marie guyau (1854-1888), de se placer en concurrence des " deux tendances de la morale " selon lui : l'utilitarisme anglo-saxon et le kantisme continental. il le conduit aussi à nous offrir la perspective originale d'une " morale de la vie " dans ce livre " raffiné, mélancoliquement courageux " (nietzsche).
né en 1854 à laval, jean-marie guyau est le fils d'augustine tuillerie, connue pour avoir publié sous le pseudonyme de giordano bruno plusieurs livres, dont le fameux tour de france de deux enfants (1877) ; il est le beau-fils du philosophe alfred fouillée, qui diffusera sa pensée et publiera une partie de l'oeuvre de guyau après sa mort précoce (1888). guyau, historien de la philosophie morale, historien des religions, philosophe de l'art et théoricien de la pédagogie, était aussi l'auteur de manuels de lecture et de classiques scolaires, un poète, un musicien.
esquisse d'une morale sans obligation ni sanction, pour la première fois publiée avec l'indication des modifications apportées à la première édition, est sans conteste son ouvrage le plus personnel et le plus fameux.
Nous sommes en 1240. Dôgen ??(1200- 1253) est maître de méditation, formé à la grande école Tendaï d'Hieizan, puis en Chine à l'école du ch'an (zen). Autour de lui, dans la pénombre de son temple de Kôshô Hôrinji, près de Kyoto, se réunit une communauté de méditants, ralliés à l'idéal zen que Dôgen tente de transplanter au Japon. C'est à eux qu'il adresse « Uji » ??« Je suis le temps », « Le temps est le fait même que j'existe, toute existence est le temps » Les fictions du temps. Le temps ne se laisse pas enfermer dans les divisions conventionnelles, aussi utiles soient-elles, en heures, en avant et après, en passé, présent et futur. Il ne se laisse pas davantage mesurer sur une échelle de durées, comme : continuum, moment, instant ou même état stationnaire. Le temps n'est pas le temps abstrait, global et omniprésent comme celui où nous vivons de nos jours.
Le temps ne s'écoule pas. Le temps se pratique au présent avec le tout du corps-esprit dans le quotidien : travaux et occupations diverses et méditation. Il devient alors clair que le temps fiction a disparu. Dans un même mouvement, il embrasse passé, présent et futur. Le temps ne s'écoule pas.
Dans ce livre, Clément Rosset s'entretient librement avec Santiago Espinosa sur divers sujets. Dans une première partie, comprenant cinq entretiens, Rosset raconte avec humour les trois épisodes marquants de sa vie l'ayant conduit à la réflexion philosophique. Il est ainsi question de son enfance, de son amour de la musique et de la littérature, de ses années de normalien et de son entrée à l'Université de Nice. Il y revient sur ses auteurs de prédilection, sur ses rapports avec l'Académie et avec les philosophes dont il a été le contemporain et parfois l'ami (Cioran, Deleuze, Jankélévitch, Descombes).
Dans une seconde partie, deux entretiens visent, au vu d'un certain nombre de contresens ayant été faits par des commentateurs à son égard, à clarifier et à détailler le concept-clef de sa philosophie : le double et le réel.
Il s'agit donc à la fois d'un livre biographique, où Rosset parle de lui-même, et d'un ouvrage de fond, où le lecteur trouvera, tantôt un supplément conceptuel aux livres qu'il aura lus de sa philosophie, tantôt une introduction et une invitation à leur lecture.
Faisant feu de tous les bois conceptuels (philosophie, histoire, psychanalyse, anthropologie, cinéma), ce livre interroge les états d'âme et les tourments qui refont chroniquement surface à l'approche de Noël, quand tout invite au contraire. Il n'a pas pour but de défendre ou de sauver Noël, ni d'en instruire le procès à charge, pas plus que d'en moquer le folklore ou d'en proclamer l'obsolescence.
Il ne milite ni pour sa sanctuarisation culturelle, ni pour son bannissement de nos coutumes. Il cherche à penser cette drôle de fête. Celle qui réunit les familles et les générations sous presque toutes les latitudes. Pour le meilleur et pour le pire. Souvent dans la joie, mais pas toujours dans la bonne humeur. L'alibi social des retrouvailles familiales est plus que tout source de tensions et de conflits. Et pour cause. Noël cèle la mesure intranquille de nos liens avec autrui et, au-delà, avec la vie.
On parle du JOUR de l'an et de la NUIT de Noël.
Étrange que Noël célèbre la nuit quand le Jour de l'an célèbre le jour !
C'est autour de ce paradoxe que Stéphane Floccari poursuit son aventure.
Trouvera-t-on dans ces pages des raisons d'être à la fête pour que Noël se profile comme une promesse de printemps au coeur de l'hiver.
À quatre-vingt-treize ans Marcel Conche a encore quelque chose à dire sur la nature, l'infini, la vérité, la tradition, la création, le moi, le silence, le tragique, l'amour, la mort ou les mathématiques, mais aussi sur Descartes, Leibniz ou Héraclite. 12 petits chapitres sont consacrés à une nouvelle approche de Spinoza.
« Je travaille pour le XXIe siècle. » Bonne raison pour y rendre de nouveau présente cette courte initiation qu'on m'avait demandée au siècle dernier. On était alors dans ces années de l'après-guerre, où par-delà les désastres et crimes imprescriptibles, chacun se refaisait tant bien que mal une santé et un moral, et tentait de redonner un sens à l'humain. Comme tout un chacun, je cherchais des réponses, des solutions, bref, un absolu, et qui - excusez du peu - se serait traduit en mots. Des mots, on en trouvait. La mode était à l'existentialisme, au marxisme, au personnalisme et autres mots en isme. Des mots, des mots, mais d'absolu, point. Tel, du moins, que je m'en faisais l'idée - ou l'image. Jusqu'au jour où me tomba entre les mains un livre de Jankélévitch. Nous étions en 1949 : c'était la première édition du Traité des vertus. Et si je ne craignais de pousser un peu loin le pastiche, je dirais que m'advint ce qui était arrivé à saint Augustin à qui l'on avait prêté des textes de Plotin et de Porphyre : ma façon de voir s'en trouvait changée du tout au tout. Je n'aurais de cesse, à mesure que passeraient les années, que je n'aie lu l'oeuvre en son entier. Mais sur le moment, comment aurais-je imaginé que onze de ces volumes me seraient offerts au cours des ans par leur auteur, avec un mot de sa main ?
Lucien JERPHAGNON
Se tenir en présence d'une oeuvre d'art ce n'est pas se tenir à l'écoute de l'artiste pour en recueillir les confidences ou le message car ce qu'est l'oeuvre, l'artiste n'en sait rien avant d'être surpris par elle. Maître d'ouvrage, il n'est pas le maître d'oeuvre. Une oeuvre, dit Malevitch, doit sortir de rien. Elle ne procède d'aucun étant, même d'un néant étant, mais du rien qu'elle ouvre. Sa manifestation a lieu dans l'ouvert pour autant qu'elle s'ouvre en elle sous la forme du rien. De quelques paysages chinois de l'époque Sung à un losange de Mondrian et à quelques peintures du XXe siècle - tous insoumis à la logique de l'intentionnalité ou de la mondéité du monde - apparaissent de cime en cime des oeuvres dont l'existence, à chaque fois unique, est une entrée en présence dans l'ouvert.
Une certaine critique d'art, si répandue qu'elle est devenue vox populi, nous a habitué depuis fort longtemps, notamment depuis l'avènement de l'art "contemporain" , à considérer que l'art est véhicule ou "expression" de bien des choses - du moi, des sentiments, des idées politiques, climatiques, morales -, dont semblent exclues les idées spécifiquement artistiques. Ainsi, ce que le spectateur d'une oeuvre d'art est invité à "comprendre" n'est pas l'oeuvre mais ce qu'elle est réputée signifier (exprimer), sens qui ne se voit ni ne s'entend paradoxalement pas, que l'oeuvre "cache" ou dissimule.
Conscient de cette dérive, Jankélévitch avait affirmé lors d'un interview que personne n'aime la musique pour ce qu'elle est ; il semblerait qu'il faille étendre cette vérité à un terrain plus ample : presque personne n'aime l'art pour ce qu'il est. Que signifie aimer l'art pour ce qu'il est ? Telle est la question qui oriente ce travail. Il s'agit, dans la mesure du possible, de penser l'art en tant qu'art, et l'artiste en tant qu'artiste, autrement dit en tant que créateur d'idées artistiques provoquant des émotions esthétiques.
Aimer l'art pour ce qu'il est, c'est trouver le sens de l'oeuvre dans l'oeuvre même, se confondant avec sa beauté. L'oeuvre d'art, lorsqu'elle est conçue pour être jugée comme telle, s'adresse avant tout à une sensibilité esthétique ; c'est alors qu'on peut l'appeler "objet de beauté" .