Dans ce livre, il est tout d'abord question de mieux cerner la manière dont Norbert Elias a lié la formation du sujet socialisé et les dynamiques historiques modernisatrices qui le produisent et qui, en retour, mènent collectivement les sociétés à emprunter un chemin spécifique.
Il s'agit ensuite de mettre la sociologie d'Elias à l'épreuve de divers terrains d'enquête. La thèse des rationalités pratiques des acteurs sociaux en situation, formés et informés par des idéaux transmis dans le processus de la formation de l'État-nation moderne, sera documentée, discutée et évaluée, afin de faire surgir l'actualité de la sociologie d'Elias dans l'élaboration d'une sociologie contemporaine de la politique.
Aujourd'hui, alors que la société se constitue en objet de connaissance scientifique, l'État-nation de type européen atteint une première forme d'achèvement, ce qui explique le fait imposant, écrasant, de l'État pour les sciences sociales. N'est-il pas la caractéristique distinctive des socié- tés modernes, considérées selon la terminologie qui s'est imposée dès le xix e siècle comme des « sociétés à État » ?
Ce volume reprend le problème sociologique de l'État pour le reformuler dans des termes au croisement des développements récents d'une philosophie politique soucieuse d'intégrer l'apport des sciences sociales et d'une sociologie politique prête, à partir de ses enquêtes, à questionner ses propres catégories.
Deux traductions, tirées de conjonctures qui ont rendu particulièrement saillant le problème sociologique de l'État constituent le point de départ de la réflexion.
Celle-ci se poursuit dans une série de contributions, philosophiques et sociologiques, voulant découvrir un concept d'État propre à une science sociale du politique.
L'enjeu de ce volume n'est pas seulement d'interroger la nécessité de l'État pour les formes modernes - entendons démocratiques - de l'organisation politique. Il est de contribuer à spécifier l'État dans ce qui le rend socialement nécessaire. Cette démarche ouvre la possibilité d'identifier des critères sur la base desquels l'État existant peut être évalué et critiqué à nouveaux frais, à l'écart du cadre libéral dans lequel la critique de l'État est ordinairement condamnée à s'enfermer.
Certains travaux dans les sciences sociales s'efforcent aujourd'hui de prendre en considération la place qu'occupe dans la vie sociale la présence d'as- semblages complexes qui associent des éléments matériels et langagiers.
Ces recherches s'intéressent à des entités potentiellement très variées : des dispositifs d'expérimentation scientifique, des procès judiciaires, des tech- nologies numériques, des réalisations artistiques, des outils de gestion, des montages d'inspiration religieuse, etc.
Les recherches ouvertes depuis les années 1970 par des auteurs tels que Michel Foucault, Gilles Deleuze, Michel Callon ou Luc Boltanski, participent de cet intérêt croissant pour les assemblages. Mais bien d'autres domaines des sciences sociales, y compris dans des secteurs éloignés les uns des autres, par exemple en architecture, en géographie ou dans les cultural studies, s'avèrent également concernés. Cet ensemble dispersé de travaux témoigne de préoccupations communes et d'une grande variété d'approches. Variété des concepts élaborés pour désigner ces assemblages (agen- cements, dispositifs, infrastructures, réseaux, etc.) ; variété des stratégies d'analyse pour rendre compte des interactions entre ces assemblages et les humains qui y sont confrontés. C'est ainsi que des champs d'investigation relatifs à la religion, à la médecine, aux sciences, à l'économie ou aux institutions judiciaires, ont été renouvelés par leur abord de la vie sociale sous cet angle.
Les débats passionnels à propos de l'oeuvre de Pierre Bourdieu et de ses engagements publics ont longtemps limité l'expression d'une critique scrupuleuse de son travail. Alors que ces débats commencent à s'estomper, ce livre propose une analyse du coeur de son projet intellectuel : sa théorie de la pratique. Les textes qu'il réunit examinent l'usage des notions que Bourdieu a introduites dans le lexique de la sociologie et de l'anthropologie et qui en font désormais partie : champ, habitus, capital, réflexivité, familiarité, intérêt, désintéressement, critique, position scolastique. Sociologues, philosophes et linguistes s'attachent ainsi, chacun à leur manière, à rendre compte d'un aspect de la théorie de la pratique de Bourdieu, en ouvrant une réflexion sur sa pertinence et sur les lacunes et contradictions qui ont provoqué sa remise en cause ou son rejet. Ce livre n'est pas un plaidoyer pour ou contre Bourdieu. Il cherche plutôt à présenter une confrontation raisonnée de ses thèses avec celles qui ont été élaborées par les approches qui, depuis une vingtaine d'années maintenant, ont renouvelé l'enquête en sciences sociales, en l'orientant résolument vers l'analyse empirique de la pratique, dont la collection " Raisons pratiques " a été l'un des lieux de développement en France.
L'erreur humaine, inévitable, est souvent affectée d'une valeur négative ; elle présente pourtant un potentiel positif. L'enjeu de cet ouvrage est de mettre à l'épreuve cette valeur positive, à travers des études de cas diverses : dans la science, dans le diagnostic, médical, dans la vie courante, etc.
Une nouvelle approche de l'usage de l'erreur L'étude de l'erreur se développe en grande partie aujourd'hui à partir de travaux de psychologie cognitive, qui traquent les erreurs de raisonnement, les biais cognitifs et la formation de croyances fausses et expliquent causalement ces phénomènes par des mécanismes inconscients ou des inclinations naturelles de l'esprit humain. Le problème est que, pour ce faire, ils doivent présupposer des normes absolues (de vérité ou de rationalité, de raisonnement déductif ou de raisonnement statistique) par rapport auxquelles les erreurs représentent des écarts mesurables.
C'est une tout autre approche que propose le présent ouvrage : analyser l'erreur sous l'angle de sa socialité c'est-à-dire en l'envisageant dans les multiples contextes et dans les dynamiques plurielles où elle se produit.
L'usage de l'erreur est examiné aussi bien dans la science que dans l'enseignement de la logique ; dans l'établissement des preuves au tribunal que dans la résolution de problèmes pratiques de la vie courante ; dans la délibération que dans la perception ; dans le diagnostic médical que dans la décision politique.
SOMMAIRE Présentation Erreur et perception J. Dokic - Méprises de la reconnaissance perceptive d'autrui. Entre illusion et erreur M. De Fornel et M. Verdier - Le risque d'erreur de diagnostic médical C. Chauviré - Faillibilisme et fiabilisme chez Peirce A. Ogien - Le non-lieu de l'erreur L'erreur pratique S. Laugier - How not to be ? Austin et l'erreur pratique B. Olszewska et L. Quéré - Erreurs pratiques, fautes et incongruités P. Livet - Erreur et révision D. Rivaud-Danset - Deux critiques du modèle de l'utilité espérée : erreur dans les hypothèses ou erreur de jugement ?
L'erreur en contexte M. Lynch - De la sociologie de l'erreur à la socialité de l'erreur C. Rosental - L'erreur en logique E. Picavet - L'acceptation de propositions jugées incorrectes dans les contextes institutionnels M.-O. Deplaude - De l'erreur en politique. Le cas de la régulation démographique du corps médical en France
L'étude des émotions collectives exige une confrontation aux différentes théories de l'émotion. Dans les travaux contemporains, les émotions ne sont plus réduites, comme au début du xx e siècle, à des réactions instinctives ou à des sensations irréfléchies. Elles sont vues comme une véritable force organisatrice qui permet d'unifier des sensations, des actes et des événements épars dans la totalité de l'expérience. En un sens, toute émotion peut donc être dite sociale. Mais à quel moment devient-elle collective ?
L'analyse des émotions collectives concerne précisément le qualificatif « collectif », qui renvoie à une très grande hétérogénéité de phénomènes et pose ainsi problème.
Si l'une des caractéristiques communes des émotions dites « collectives » est d'être « partagées » ou encore éprouvées « ensemble », il reste à clarifier ces termes qui sont d'une grande ambivalence sémantique. En effet, les émotions ne peuvent pas être partagées comme peuvent l'être un bureau ou un repas. Et tout comme il y a plu- sieurs manières de partager un chagrin, une joie, une peur, une indignation, il y a plusieurs manières d'être, d'agir et de subir « ensemble ».
Les enquêtes théoriques et empiriques que présente ce volume déploient les diffé- rentes significations du terme « collectif » quand il s'agit des émotions, de mesurer leur pertinence et d'évaluer leur portée heuristique. Il est ainsi question des attentats, du populisme, du Téléthon.
Les questions triviales posées par le care - qui s'occupe de quoi, comment ?- mettent en cause l'universalité de la conception libérale de la justice. Dans le même mouvement, elles font valoir l'injustice radicale de l'ignorance d'une sensibilité classiquement attribuée aux femmes et en proposent un compte rendu.
Il s'agit ici de présenter l'éthique du care, de mettre en évidence les raisons d'une résistance de la part des milieux académiques et des féminismes à ce mouvement intellectuel, et de réhabiliter le sensible.
Les publications américaines sur l'éthique du care et ses rapports avec l'éthique de la justice ayant été comparées, non sans quelque sarcasme, à une véritable industrie, l'indifférence des milieux académiques et des féminismes français vis-à-vis d'un mouvement intellectuellement aussi important est étrange. Le moment semble donc venu de présenter l'éthique du care, et de mettre en évidence les raisons d'une telle résistance. C'est bien la dimension provocatrice de l'idée même d'une éthique du care qui la rend difficilement assimilable, et vulnérable. À la fois réponse pratique à des besoins spécifiques qui sont toujours ceux d'autres singuliers, activités nécessaires au maintien des personnes qu'elles soient « dépendantes » ou «autonomes», travail accompli tout autant dans la sphère privée que dans le public, engagement à ne pas traiter quiconque comme partie négligeable, sensibilité aux « détails » qui importent dans les situations vécues., le care est nécessairement une affaire concrète, collant aux particularités des situations et des personnes.
La réflexion sur le care s'inscrit donc, d'emblée, dans un certain tournant particulariste de la pensée morale : contre ce que Wittgenstein appelait dans le Cahier bleu la « pulsion de généralité », le désir d'énoncer des règles générales de pensée et d'action, faire valoir l'attention au(x) particulier(s), au détail ordinaire de la vie humaine.
L'épistémologie sociale est une analyse de la dimension sociale de la connaissance.
Son point de départ est le constat que bien des phénomènes ne nous sont connus que par l'intermédiaire des autres et donc que la connaissance a non seulement des sources directes, celles auxquelles le sujet a lui-même accès, mais aussi des sources indirectes reposant sur la confiance ou sur l'autorité accordée à autrui. Elle s'intéresse donc aux conditions de la transmission de l'information venant d'autrui, et aux relations de confiance et d'autorité épistémiques, notamment dans le domaine des sciences.
Mais ses préoccupations sont plus larges et concernent tout ce qui a trait à la dimension sociale de la connaissance : la construction, au cours d'interactions, de justifications recevables ou acceptables ; les modes ordinaires de pensée et de raisonnement ; ou encore les relations de coopération et de collaboration dans une " communauté épistémique ". De plus elle reprend des questions qui étaient au coeur de la théorie durkeimienne de la connaissance, celle par exemple des croyances collectives, ou l'idée d'un sujet collectif du savoir.
Par là elle se rapproche des social studies of science, tout en s'en distinguant par l'adoption d'un point de vue normatif et par le refus du relativisme. Ce volume présente un ensemble de recherches représentatives de ces différentes préoccupations. Elles ont en commun de reconnaître la spécificité de l'idée de normes de la connaissance, et, s'agissant de concevoir la dimension sociale de celle-ci, de se garder des formes radicales de holisme, pour lesquelles les groupes sociaux sont des entités sui generis.
La question de la dette publique, qui s'est imposée sur le devant de la scène politique et médiatique depuis une dizaine d'années, n'est pas réductible à une question financière, qui traduirait la plus ou moins bonne gestion du budget des États : elle soulève un problème politique qui touche aux fondements mêmes de la démocratie contemporaine.
L'endettement croissant des États conduit à un dédoublement des instances auprès desquelles les gouvernements doivent répondre de leurs choix : à côté du corps des citoyens qui se prononcent lors des élections, les investisseurs sont devenus une deuxième instance d'évaluation des politiques publiques à travers leur décision d'investir ou non dans la dette publique des États.
Cette démonstration conduite par Wolfgang Streeck dans Du temps acheté (Galli- mard, 2013) est à l'origine de ce dossier. L'auteur y attaque l'euro, ce qui le mène à prôner un retour à l'État-nation comme seule instance possible de régulation d'un capitalisme débridé. Point de départ en Allemagne d'une polémique avec Jürgen Habermas, dont l'article est ici publié, ces thèses sont discutées dans ce numéro par une équipe internationale de sociologues, économistes, philosophes, et littéraires. Ils réfléchissent à la crise de la démocratie engendrée par l'explosion de la dette publique, et aux possibilités étatiques ou interétatiques de réguler un capitalisme néolibéral qui semble aujourd'hui livré à ses tendances autodestruc- trices, compromettant l'équilibre politique des sociétés modernes.
Récompensés par le prix Nobel 1998, les travaux d'Amartya Sen bousculent les acceptions établies de la liberté en économie. La conjoncture intellectuelle et politique se prête tout particulièrement à leur discussion. Ce volume présente et discute les principes et les concepts de cette approche innovante. Un texte de Amartya Sen sur les droits humains est traduit dans ce volume.
Ce volume attire l'attention sur le fait que Sen est un penseur des droits autant qu'un penseur de l'économie. L'« approche par les capacités », élaborée par Amartya Sen, propose une nouvelle économie politique qui fait des droits humains réels une valeur cardinale et accorde à la question des institutions une importance décisive. Elle éclaire des problèmes aussi divers que ceux des indicateurs macro-économiques, de la pauvreté, des rapports de genre, du sous-développement. Elle préconise un mode d'évaluation du bien-être social centré sur la situation singulière des personnes. Et, concernant le processus de démocratisation, elle recommande de focaliser l'attention sur la participation des groupes les plus vulnérables.
Cet ouvrage est une introduction et une contribution à la problématique des capacités, par les prolongements possibles, dans des domaines nouveaux qu'il propose. Par exemple les capacités sont mobilisées pour éclairer l'action européenne pour l'emploi, les questions juridiques posées par les droits sociaux, la liberté politique réelle.
La cohérence et la pertinence des thèses fondamentales de Amartya Sen sont ainsi fermement mises à l'épreuve.
SOMMAIRE Présentation Les capacités : un cadre pour l'enquête sociale JEAN DE MUNCK - Qu'est-ce qu'une capacité ?
NICOLAS FARVAQUE - « Faire surgir des faits utilisables ». Comment opérationnaliser l'approche par les capacités ?
ALBERT OGIEN - Arithmétique de la liberté. La mesure des capacités et ses paradoxes BÉNÉDICTE ZIMMERMANN - Capacités et enquête sociologique Droits, marché, démocratie : les supports de la liberté AMARTYA SEN - Éléments d'une théorie des droits humains JEAN-FRANÇOIS EYMARD-DUVERNAY - Le marché est-il bon pour les libertés ?
JAMES BOHMAN - Délibération, pauvreté politique et capacités JEAN-MICHEL BONVIN - Capacités et démocratie Les capacités en situation JEAN DE MUNCK, JEAN-FRANÇOIS ORIANE - Droits sociaux et mondes possibles. L'exemple du droit européen au congé parental ISABELLE FERRERAS - De la dimension collective de la liberté individuelle. L'exemple des salariés à l'heure de l'économie de services ROBERT SALAIS - Capacités, base informationelle et démocratie délibérative. Le (contre-)exemple de l'action publique européenne
Ces dernières années, un débat sur la place de la religion dans les démocraties libérales s'est engagé dans le monde intellectuel. Si certains ont parlé d'un Âge séculier et d'autres d'une « société post-séculière », c'est parfois la dynamique même de sécularisation de l'espace public qui semble avoir été remise en cause. Plus profondément, ce sont les rapports entre religions, sciences et démocraties qui ont été questionnés.
En faisant délibérément usage de ces termes au pluriel - pour indiquer qu'il existe différentes formes de religion, plusieurs genres de sciences et plusieurs conceptions de la démocratie - les contributions rassemblées dans ce volume entendent sonder ces rapports et cette pluralité. Le lecteur y trouvera la traduction française de plusieurs interventions de John Dewey sur l'anti-naturalisme et la religion, des contributions de pragmatistes contemporains et des enquêtes sur le rôle public de la foi ou sur la mise en cause de l'autorité épistémique des sciences, aussi bien aux États-Unis, qu'en Europe et en Afrique du nord.
L'analyse des problèmes sociaux est l'ordinaire des sciences sociales.
Pour rendre compte de leur constitution, celles-ci ont souvent recours à un argument constructiviste. Les enquêtes présentées dans ce volume proposent une approche alternative, inspirée du pragmatisme de John Dewey. Les problèmes sociaux n'y sont pas envisagés comme de simples "constructions sociales et historiques". Ils procèdent de dynamiques de problématisation et de publicisation. Leur émergence, leur configuration et leur stabilisation vont de pair avec celles de publics qui en font l'expérience.
C'est pourquoi, dans cette approche, on parle plutôt de problèmes publics. La genèse de ces problèmes est explorée à travers une "micro- politique du trouble". Celle-ci touche à leur dimension affective, imaginaire et sensible. Mais elle passe surtout par des activités d'enquête, qui politisent l'expérience. Dans une veine critique, les différents participants à ce volume s'interrogent également sur les empêchements, les interruptions ou les blocages de ces processus de politisation.
Il s'agit ici d'éclairer le mode d'existence des entités collectives qui peuplent le monde social.
Qu'est-ce qu'un collectif ? L'usage, volontaire, du substantif suggère que « collectif » renvoie non pas à une qualité, à un mode d'action ou à un type de processus, mais à une personne, un individu ou un sujet collectif. Ainsi personnifiés, les collectifs semblent appeler une description de leurs propriétés substantielles, plutôt qu'une analyse de leur constitution. C'est pourtant dans cette seconde voie que l'enquête doit s'engager, pour faire apparaître les multiples procès à travers lesquels les individus s'associent et créent des groupements de toutes sortes. Les auteurs, de différents pays et de diverses traditions de pensée, font le point sur les débats, actuellement vifs en philosophie et en sciences sociales, concernant l'analyse des collectifs, et proposent des solutions originales aux problèmes qu'elle pose.
En sciences sociales, l'héritage du pragmatisme a été longtemps défini en termes d'inspiration intellectuelle. Mais n'y a-t-il pas d'autres manières de constituer un héritage intellectuel qu'en termes d'acceptation de vérités ou de dogmes ? Cette question a été à l'origine du volume. Remonter à la source du pragmatisme américain, relire Peirce, Dewey, James et Mead, c'est d'emblée poser la question de la façon dont elle irrigue la connaissance au présent, puisque le pragmatisme consiste justement à s'engager dans son procès réel. C'est cette forme d'engagement, avec le dépassement qu'elle implique de nombreux clivages traditionnels, que les études du volume examinent sous différents angles. Elle apparaît surtout par la centralité du thème de l'enquête, comprise à la fois comme pratique (réalisation d'opérations) et comme expérimentation. À travers l'enquête, le pragmatisme américain connote d'emblée la connaissance et l'action socialement.
Erigée en question de société, l'information mérite d'être réexaminée à la lumière de recherches récentes qui explorent les questions suivantes.
Celle de la variété des " formats " de l'information, et leur inscription dans des équipements informatiques, ou plus généralement, dans un environnement matériel.
Celle de la relation entre information et action impliquée dans la découverte, l'apprentissage et l'usage de connaissances, selon des agencements différents - jugements publics, pratiques épistémiques, savoir-faire personnel, etc.
Celle de l'insertion de l'information dans diverses figures du collectif qui dépendent des coordinations et coopérations en vigueur, conduisant à des représentations communes ou à des connaissances distribuées.
Celle, enfin, de l'engagement de systèmes d'information dans des formes de normativité et de gouvernement, via des indicateurs et des classifications statistiques, des qualités normalisées, une saisie informatique locale des activités individuelles.
L'examen de ces questions donne corps à une certaine approche sociale et politique de la cognition et de l'information, qui est présentée à partir de travaux internationaux sur l'etat, la science, l'organisation, le travail et le jeu.
Parler d'" invention " de la société peut surprendre, du moins d'un point de vue de sens commun.
Pourtant la société est bien une création socio-historique, esquissée au XVIIe siècle et couronnée au XVIIIe siècle. Elle fait partie de ces entités qui adviennent à l'existence à travers les concepts utilisés pour les désigner. Le terme désigne un regroupement déterminé par la volonté humaine, qui ne peut se transformer en corps politique que par un contrat social dans lequel les sociétaires s'engagent de leur plein gré.
La matrice intellectuelle de cette invention est une métaphysique nominaliste qui s'impose, à la fin du XVIIIe siècle, dans les discours et les pratiques politiques. Déniant toute réalité aux " abstraits réalisés ", cette métaphysique accorde une primauté systématique aux individus. Aussi la société inventée est-elle " une société des individus": ceux-ci deviennent les termes premiers d'une association qui leur garantit l'indépendance tout en étendant leur liberté dans une certaine forme de dépendance réciproque.
Un autre volet de cette invention est l'idée d'une science du social. Mais la science projetée ne se restreint pas à une investigation d'ordre intellectuel. Elle doit contribuer à instaurer et à réglementer les institutions citoyennes. Elle doit être une science appliquée, à vocation correctrice " et régénératrice. L'idée d'une telle science est étroitement liée à l'émergence de l'idéologie: c'est à elle qu'il appartient dorénavant de fonder en raison les institutions et les significations du monde social.
Le volume présente une pluralité d'approches, allant des pratiques qui produisent les sources à la généalogie de la pensée de l'action et de « la pratique ». Sont aussi traitées les formes de l'enquête qui peuvent faire controverse et les réinterprétations des catégories sociales par les acteurs eux-mêmes. D'autres cas d'études portent sur les expériences de réactivation de pratiques du passé et les problèmes qu'elles posent à l'écriture historienne. Au-delà de leurs différences épistémiques, ces démarches ont en commun de proposer des chemins de recherche et d'enquête qui rompent avec les versions téléologiques de l'histoire. Elles explorent des configurations qui n'enferment jamais complètement les acteurs, même lorsqu'ils opèrent dans des mondes contraignants, qu'il s'agisse d'institutions, de structures et de groupes sociaux, de concepts et de catégories cognitives.