Poésie contemporaine. Patiemment construite dans le silence et la discrétion, elle se veut attentive à ce qui de l'homme et de l'existence est le plus impalpable : un insaisissable, que le langage poétique, sous peine de s'abolir, ne peut qu'interpeller dans un questionnement toujours recommencé.
C'est à l'analyse passionnée de cette démarche et de cette parole, qui l'ont visiblement enchanté, que Jean Onimus s'est livré dans cet essai, où l'approche critique va au plus près de l'?uvre qu'elle éclaire. Sensible et rigoureux, ce livre est la première étude approfondie de l'?uvre de Philippe Jaccottet, et une introduction chaleureuse à la poésie contemporaine dans ce qu'elle a d'essentiel.
Concernant aragon, l'homme et ses ambiguïtés éclipsent l'oeuvre et ses réussites.
Sa poésie souffre particulièrement d'un tel état de fait : trop connue, et donc méconnue, elle se voit réduite à quelques vers célèbres, quelques dates circonscrites, quelques légendes (elsa, la résistance, l'histoire...) jamais véritablement lues.
Pour la première fois depuis la mort de l'auteur, ce livre veut donc relire la totalité d'une trajectoire poétique qui ne se réduit ni à l'usage du vers, ni à l'imitation, ni à l'exploitation de quelques grands thèmes.
De 1919 à 1982, aragon débat plutôt avec les procédures poétiques, avec la mémoire d'un genre, avec la sienne, tentant à chaque livre de déplacer et de réinventer un nouveau lyrisme. collage, montage, intertextualité, dérèglement de la syntaxe, réinvention des formes, la mémoire procure un matériau qu'une systématique et inquiétante pratique de l'excès tente chaque fois de déborder. libérée des faux savoirs, l'oeuvre alors reprend cohérence : elle est la recherche incessante d'un placement de la voix qui n'a pas fini d'éblouir, ni de donner quelques leçons à la modernité.
En négligeant ses poèmes, la postérité de jean cocteau ne respecte pas la hiérarchie qu'il a lui-même établie pour ordonner son oeuvre polymorphe.
Investie par lui du pouvoir suprême, la poésie ne battait-elle pas le rappel des autres genres sous le pavillon de son nom: poésie de théâtre, poésie de roman, poésie critique, poésie graphique, poésie cinématographique ?
Ce livre n'entend pourtant pas restaurer une souveraineté qui tient sa légitimité de l'appréciation strictement personnelle de l'auteur, mais envisager pour la première fois l'ensemble de ses écrits poétiques, et en interroger la disparité apparente.
Car, à cette échelle aussi, la variété stupéfie. elle passerait pour un exercice futile de virtuosité si la mise à l'étude des textes - de leurs rythmes, de leur langue, de leurs structures - ne révélait la continuité et l'assurance d'une démarche artistique. toujours en quête du grave dans l'aigu, le chant qui s'élève de cette poésie procède, suivant des principes esthétiques stables, à des variations sur le thème de la création elle-même.
Venue des profondeurs de l'être, couvrant toute la gamme des possibilités expressives, la voix de jean cocteau finit par s'imposer, loin du tapage qui environna sa vie, dans le concert des poètes du siècle.
Eluard ou le rayonnement de l'être est une anlyse éclairante de l'une des oeuvres poétiques les plus importantes du XXeme siècle. En rapportant la poésie d'Eluard à un "être-au-monde" révélateur d'un sentiment premier de l'existence, Daniel bergez rattache l'univers du poète à son ancrage le plus profond, ontologique plus que psychologique.
Cette perspective éclaire d'un jour neuf des thèmes fondamentaux - la solitude comme vertige, l'amour comme expérience fondatrice -, et permet une riche analyse des sensations et dynamismes internes où l'imagination poétique vient puiser sa substance.
L'oeuvre de Nerval, si singulière, a souvent été l'objet de lectures qui ont essayé de montrer la profonde organisation d'une poétique, thématique ou structurelle, en reconstituant une esthétique d'une séduisante cohérence.
Pourtant, la nouvelle édition de la Pléiade (1984-1993) a révélé sa fragmentation tragique, dans une enquête pleine de zones d'ombres, d'incertitudes, avec ses redites, ses contradictions, au point de dérouter des lecteurs habitués à des textes devenus lisses. Une réalité douloureuse, celle de la difficulté de l'écriture, est apparue dans son dénuement, que les points de vue très déterminés avaient fini par faire oublier.
Interrogeant la segmentation et les répétitions, c'est ce désordre émouvant que ce travail voudrait questionner, en suivant le cheminement peu orthodoxe du poète, à travers des ouvrages de facture diverse, du journalisme aux traductions, du théâtre de collaboration aux canevas d'opéras, des nouvelles aux poèmes à forme fixe, et jusqu'à une autobiographie rêvée, afin de proposer une lecture qui s'inscrirait dans ce que Barthes a appelé, en 1978, à propos de Proust, une " histoire pathétique de la littérature ", attachée aux " moments de vérité " qui donnent leur dynamique à l'oeuvre.
Dès lors, " l'émiettement " est la rançon de cette expérience. Dans les déchirures, la figure d'un poète inquiet se dessine, qui marche en aveugle vers une Étoile, absorbé par la coïncidence de la signification du monde avec celle de sa vie. Emblématique de la constitution réciproque du texte et du sujet, l'Étoile symboliserait le point de convergence de routes mystérieuses, aux confins des grands genres, image de la conjonction autant que de la disjonction.
Cette biographie de l'oeuvre analyse le parcours répétitif, enchevêtré, concentrique, d'un poète meurtri, dans sa tentative d'atteindre le coeur du réel, de l'autre côté du désespoir.