Années 1973 et 1974, à la suite du procès de Bobigny. Le mouvement pro-IVG prend de l'ampleur en France. À Paris, Jane se demande pourquoi ses parents ont éloigné sa soeur, Louisa, en Espagne. Aux côtés de Pierre, jeune médecin du Groupe Information Santé, elle cherche des traces de Louise et s'engage dans la lutte pour l'avortement, non sans crainte car son père soutient ouvertement l'association conservatrice Laissez-les vivre. Jane apprend tout de même à pratiquer l'IVG clandestinement. Entre enquête et roman historico-politique, ce texte offre un éclairage contemporain sur les années 70, leur effervescence et l'intensité d'un combat toujours d'actualité : la libre disposition de son corps.
Tant qu'il reste quelque chose à détruire est le chemin poétique d'une reconstruction après le viol. Mag Lévêque éclaire par le poème le lien à la honte, à la culpabilité, à la sexualité. Au-delà du témoignage, elle parvient à créer à partir de la violence et de la douleur, en ne faisant jamais impasse sur l'indicible. Le poème se débat et s'élabore contre la mémoire du corps marqué par l'empreinte invisible de la violence. À travers une narration fragmentaire, il est question de sauvegarde de soi et de recherche d'une force collective comme réparations. C'est ici dans l'intime que se joue l'émancipation , et le verbe de réveiller la force qui n'a jamais quitté l'autrice.
« La barbe de ma mère est drôlement belle quand elle est bien coiffée, et très utile par temps froid » dit l'enfant. Et l'enfant peut s'y enrouler, jouer à cache-cache, faire de la musique avec cette grande barbe. Ma mère est une femme à barbe renouvelle avec délicatesse et subtilité les représentations des femmes et des mères. Depuis les yeux d'une enfant, ce sont tous les codes qui sont interrogés et qui volent en éclat. Raphaële Frier et Ghislaine Herbéra proposent avec ce livre onirique une histoire qui rappelle combien il est important que le jeune (et moins jeune) public puisse nourrir son imaginaire au-delà des normes et des contraintes. Dès 3 ans et pour tous les âges.
Telle quelle, sans réification ou instrumentalisation du corps. Dans ce livre d'artiste, Camille Laforcenée représente une réalité à l'encontre des perspectives traditionnellement adoptées dans les iconographies artistiques, à l'encontre d'une conception de la beauté fantasmée par le patriarcat. Par un détournement féministe des registres de l'autoportrait et du nu, l'artiste met à mal les injonctions normatives. La densité et le relief sont les matières appelant à un nouvel arpentage de ses propres paysages corporels. Camille Laforcenée nous invite à réapprendre l'acceptation des corps, avec leurs plis, leurs cicatrices, leurs poils. Un livre dont le trait est synonyme d'agentivité.
Dans La Septième Lèvre s'écrivent mille et une façons de penser et de dire le corps, les relations ou dieu. Ce recueil déploie une poésie ancrée dans le quotidien, une poésie mêlée d'instantanéité et d'images dans laquelle on assiste à une mise à l'épreuve du soi et du temps. Il s'agit d'une invitation à questionner la représentation et le lien social. Ces cantiques féministes et queers nous immergent dans une lutte intériorisée, intime, un temps par et pour soi en vue d'un être collectif au monde. Dans une langue narrative, pop et cinématographique se fait également entendre un élan spirituel, souvent oublié des combats féministes et qui vient ouvrir des champs d'empouvoirement.
C'est depuis les grands territoires déserts et montagneux que nous observons des villes croître à en perdre la raison. Dans ces chroniques proches du nature writing, Ellen Meloy exprime avec un humour décapant sa vive critique de la société capitaliste, du rapport marchand à la nature ou encore des politiques de croissance et d'épuisement des ressources naturelles. La journaliste et écrivaine des grands espaces américains donne à entendre la densité des enjeux politiques qui traversent ces territoires : destruction des habitats, lien avec les peuples natifs, immensité et solitude inhérentes à ces espaces.
Un texte sans concession qui remet à sa place l'humain comme être de passage face à la puissance de ces lieux, préfacé par l'autrice de Brokeback Mountain, Annie Proulx.
17 ans, 19 ans : deux âges pour un roman au coeur de l'adolescence et de son intimité. Un narrateur ancré à Marseille raconte ce quotidien ponctué de l'intensité qui le caractérise : se découvrir et vivre un être, un désir et une sexualité hors des normes hétéropatriarcales, faire face à l'homophobie et au mensonge, s'habituer au secret - le sien ou celui de l'autre. Quitter l'école car elle n'a plus rien à offrir et s'installer devant la mer, essuyer l'insulte, tenter de contrer la honte par l'émancipation, cacher la maladie ou le trouble psychique, affronter la précarité et la douleur familiale : dans ce texte se construit une voix puissante et autonome qui dit combien est forte la volonté d'exister.
La poésie comme un cri arraché au corps : Aux vies anecdotiques fait entendre un être au monde sensible et à jamais politique. Écrit depuis les marges, ce recueil est un écho aux dynamiques d'oppression systémiques auxquelles fait face celle qui dit. Ne jamais être comme il faudrait : racisée, queer, grosse, pauvre ou poilue, le corps d'un être à qui on intime le silence, mais qui le refuse par une explosion poétique venant inquiéter un confort qui ne tient qu'à l'écrasement des autres.
Aux vies anecdotiques laisse respirer une langue qui dit la fierté en rappelant combien la domination n'a jamais rien d'une anecdote et combien la lutte, dans chaque espace du quotidien, est vitale.
Au commencement, des escapades dans les champs de colza et la découverte tranquille du corps ; puis le corps vu, projeté, contraint et assigné par d'autres. Comment déconstruire l'hétéronormativité pour parvenir à être soi ?
Roman de traversée, Colza s'installe dans les interstices : entre campagne et ville, entre construction d'une identité queer et misogynie intériorisée, entre fantasmagories et amours réelles. Le corps gouine s'élabore au fil de ce périple contre les injonctions patriarcales et sexistes. Ce roman est le récit du trouble : celui de Colza, qui a trouvé la liberté de s'inventer et d'écrire sa propre histoire au-delà des normes binaires.
Dans ce "récit en fragments" , comme le nomme l'autrice, des femmes reprennent le pouvoir qui leur a été confisqué par le patriarcat, le colonialisme ou la précarité. Dans un territoire pluriel se déploient sept tableaux comme autant de loupes sur des parcours individuels, considérés comme peu légitimes pour faire Histoire mais ô combien partagés, porteurs et émancipateurs. De celle qui devrait se séparer de son enfant au coeur de la Seconde Guerre mondiale touchant aussi l'Algérie, à celle traversant la frontière pour aller avorter en pleine révolution tunisienne, en passant par celle qui soigne une femme syrienne ayant réussi à rejoindre Tamanrasset, ces récits en écho font résonner les voix de femmes qui renversent ce qui les astreint et les réduit et font le choix de leur liberté.
Glisser sur la rampe du temps, c'est détricoter les mailles de l'hégémonie et observer jaillir la sororité et la puissance qui accompagnent ces vécus.
Une femme, infirmière en psychiatrie, est sur le chemin menant au quartier de son enfance et à une famille qu'elle n'a pas vue depuis des années. Au mouvement lent de la marche s'entrelace un trajet mental chargé du quotidien passé et présent, de sensations du corps en éveil et d'errances fébriles.
Dans ce qui la fait avancer, il y a l'autre espace de sa vie, celui de la lesbianité qu'elle pense et raconte. Pas de confrontation, de retrouvailles ou de retour, mais un roman de passage et d'insoumission où le coming-out n'est ni l'enjeu ni le dénouement. S'y mêlent alors l'histoire familiale, la violence de l'inceste et la mémoire juive. Et contre la honte et le silence se dresse l'outrage.
La distorsion du réel est telle que l'étrange habite tout entier ce recueil incantatoire. La poésie contée de Conjurations explore la fragmentation de l'identité comme celle de la langue : sa lecture est une traversée des espaces et des temporalités de plusieurs personnages travaillant leurs propres limites spatiales, temporelles, affectives.
Ici, plus jamais une femme qui se tient debout n'est décrite comme hystérique : c'est une sorcière assumée qui oeuvre parmi le chaos du monde et de l'intime pour récupérer sa voix et son histoire contre ceux qui veillent à l'en dépouiller. Et c'est bien là le point de départ d'un imaginaire hybride où chaque mot est une invocation frappante au brouillage des frontières, à la désinvolture et à la résistance.
Des femmes et des hommes résistent à un pouvoir central autoritaire et prennent la rue, la prison ou le maquis : face à un État criminel et répressif, la lutte armée est devenue une nécessité. De ce roman d'anticipation autant que de révoltes émergent des voix apatrides qui font écho aux insurrections kabyles récentes. Polyphonie à l'écriture acérée, aussi brutale que lyrique, La Morsure du coquelicot éveille une promptitude à la désobéissance et au refus avec une poésie sans concession sur la violence des révolutions. Cinquième roman de Sarah Haidar, ce livre est à l'image de l'engagement de l'écrivaine algérienne : roman d'utopie et combat littéraire, social et politique.
Aller la rivière, second titre de Luz Volckmann après le succès des Chants du placard, donne à entendre un nouveau moment de combat : plutôt qu'être au creux de la vague, celle-ci vient maintenant s'écraser sur le silence. Organique et viscéral comme le premier, ce second ouvrage explore en revanche une écriture frontale et plurielle dans ses sujets comme dans sa forme : s'y font entendre les lgbtphobies, les violences institutionnelles et policières, l'enfermement et la mort, mais aussi la lutte et la solidarité.
Ce livre n'est pas un constat : c'est un appel politique par le sensible qui rend intelligibles mais surtout insupportables ces haines. Dans un élan libertaire, ce recueil hybride oeuvre à sortir des voix et des vies de l'invisibilité par le déferlement d'une langue de la riposte et de la fierté.
Le souvenir d'une amitié absolue et pourtant étiolée de l'enfance, le retour pour arpenter et confronter le territoire familial, l'apprentissage et l'éveil d'un corps ralenti, au dos longtemps objet médical. Trois temps racontent les recoins du placard, celui dans lequel on enferme les trans, les queers, les anormales. Ils sont écrits par la haine, la violence, la pauvreté, la prison, l'hégémonie, mais à cela y répondent l'impitoyable poésie du corps, le lien organique et sensible au sol, la mémoire locale et rurale, la tendresse et la force du devenir, le rire et la rage de se tenir debout.
Car Luz Volckmann le rappelle : "le placard nous réduit. Or, j'ai l'orgueil du peuple des géants".
Mon activité professionnelle se répand dans tous les espaces, empiète sur mon sommeil. La masse de travail assomme, le quotidien en acceléré. La fatigue m'entame et engourdit mon indignation et ma vigilance.
C'est à Guède, dans les replis de l'indigo et du pastel, qu'Irène perd le souffle. Dans l'entreprise qui l'embauche, la verticalité l'assomme. À mesure qu'elle incorpore les directives qu'elle reçoit et dont elle est relai, elle assiste à son propre effacement. Quelque chose dysfonctionne au bureau : la hiérarchie, les objectifs de la boîte, les rapports de pouvoir entre services et personnes, le sexisme décomplexé. Le climat propice à l'emprise exacerbe l'absurdité et la violence du travail. Les bureaux, comme les cuves où macèrent les couleurs, deviennent un étau. C'est à Guède qu'Irène étouffe et lutte pour retrouver sa voix face au contrôle, mais cela aurait pu être partout ailleurs.
Depuis un siècle, les Palestiniennes prennent part à la lutte contre le colonialisme israélien, et pour leurs idées et leur implication réelle ou supposée dans la résistance, des milliers d'entre elles ont été arrêtées et emprisonnées dans des conditions inhumaines et sans procès.
À travers les témoignages de détenues politiques, Nahla Abdo, elle-même enfermée pour avoir lu des poèmes révolutionnaires, analyse le système carcéral israélien dans le contexte de l'occupation et de la colonisation et oppose au silence qui entoure ces femmes leur résistance à l'extérieur comme à l'intérieur des prisons et leur engagement continu pour l'indépendance de la Palestine.
Si les travailleurs·ses produisent toutes les richesses, qui produit les travailleurs·ses ? Quest-ce qui les pousse à aller chaque jour au travail ? Cest ce à quoi répond la théorie de la reproduction sociale par une approche féministe-marxiste des angles morts du capitalisme : travail domestique, care, loisir, sexualité, mais aussi procréation, éducation, retraite, colonialisme, migration... Avant 8 heures, après 17 heures est un ouvrage collectif (Nancy Fraser, Cinzia Arruzza...) permettant de saisir la façon dont est régénérée la force de travail et combien la reproduction sociale, sur laquelle sappuie le capitalisme et quil détruit pourtant, est au coeur de nos quotidiens et de nos luttes.
Les Gisantes questionne notre rapport à la mort et en particulier au suicide de celleux qui nous entourent. Si la mort ne signe pas la disparition des liens, comment ce qui nous relie continue d'émerger et d'impacter le vivant ? Comment mettre en forme l'inassimilable ? Le recueil trace les contours d'un entre-deux mondes et fait exister un espace qui n'est pas empli de la seule douleur. S'y déploie une pluralité de sens autour d'un personnage central qui meurt à répétition et se métamorphose au long du poème, écho de figures mythologiques ou littéraires. Les Gisantes permet de rendre intelligible et d'arpenter une mémoire collective , et le recueil de se faire transposition littérale d'un recueillement singulier.
Entre les murs d'un tribunal, plusieurs voix s'élèvent. L'affaire jugée aujourd'hui est celle d'un féminicide comme il en arrive des centaines chaque année. Une narration polyphonique fait tour à tour entendre les témoins, le meurtrier, le journaliste, l'avocat, la soeur, le policier, la sociologue ou encore les féministes rassemblées devant la salle. Chacun·e vient partager un bout de cette histoire, une vision d'un monde structuré par les dominations patriarcales et la violence sexiste. Dans ce tribunal narratif, c'est la justice elle-même que l'autrice vient mettre en cause, autant que l'oppression systémique. Et comme le dit l'absente dans une ultime lettre : « Réclamez justice mais non celle d'aujourd'hui, un autre type de justice qui ressemble à nos vies et sache y répondre. »