Arfuyen
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Le mot de pauvreté : titre étrange. Qui d'emblée récuse le jeu illusionniste de l'écriture et consent à donner le poème pour ce qu'il est : fait de mots, seulement de mots - même si les plus lumineux. Et qui d'emblée récuse l'idée même de tout accomplisse-ment par les mots : les mots ne sont à proprement parler que pauvreté. Il n'y a en eux de richesse, de plénitude que pour autant que nous nous aveuglons. Dire donc cette pauvreté inhérente aux mots, et rien de plus : « il n'y a rien à dire de plus / que ce qui manque par-dessus tout // si quelque chose est vrai / c'est la pauvreté. » Car il n'y a de parole vraie que celle qui consent sa propre pauvreté : « la pauvreté est une conscience / sans prétention » Qui renonce à feindre, à briller. Qui laisse les choses être ce qu'elles sont : « un mot de pauvreté ne construit rien / par-dessus le vide / qui fait peur // sinon ce serait abandonner / la pauvreté » Car les choses ne sont rien que l'on pourrait dire : « tout le travail est de / comprendre que rien n'est pas une idée / rien n'est rien d'abstrait » Les choses ne sont que les choses, si pauvres que nous ne savons rien en dire et qu'incapables de faire face à ce rien nous en faisons une idée : « ni échec ni succès : une langue / pauvre ne serait plus dupe d'elle-même // (celui qui parle en croyant / ce qu'il dit / croit en la richesse) » Mais voulons-nous vraiment comprendre? On dirait que sans cesse « la pauvreté s'éloigne // nous / entretenons / les clôtures ».
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En 1970, René Char écrit à Marwan Hoss : « Il m'est agréable de vous écrire combien vos poèmes me trouvent, me découvrent peut-être aussi à moimême, à l'âge des sombres chagrins. » Et un mois plus tard : « Sur la ligne de l'horizon où vous m'êtes apparu, je ne vous confonds avec aucun autre. » En 2019 a paru Jours, un recueil de 248 pages réunissant l'ensemble des textes de Marwan Hoss écrits depuis 1969. Terres, rassemble les poèmes écrits depuis lors. On y retrouve la tonalité unique qui marque cette poésie, à la confluence de Char et de Schéhadé : étrange et grave, ascétique et sensuelle, brûlante et raffinée.
« Dans l'aube froide / les sarcelles de mon enfance / prennent leur premier envol / Les chasseurs tirent et font / saigner leurs coeurs / Derrière les roseaux / se cachent les oiseaux blessés ». Même lorsqu'il s'agit de l'enfance, la menace est toujours présente. Toujours se font sentir « les fusils / au loin ». Et l'amour lui-même parachève cette violence : « Le désir a fait trembler / mon enfance // Le feu de ton regard / l'a incendié » Les poèmes sont le seul lieu possible d'une réconciliation : « Mes poèmes ressuscitent / ma mémoire » On y peut reprendre souffle : « Sur la feuille respirent / les mots ». Méfiance cependant : les mots, comme l'amour, peuvent vite se retourner. Parfois, « Les mots se révoltent / ils traquent les poètes / dans les jardins de la ville » Même avec les mots la paix est fragile. Le poète vit « en état d'alerte ». -
Dix suites composent ce livre : « Creuse-nous », « Ce que disent peut-être les mains », « Quinze traces à peine visibles », « Les feuilles le savent bien », « Voyelles pour Anise », « Tombeau pour la unième nuit », « Sept ou la face cachée du dé », « Des poèmes que les oiseaux ont bus », « Une trace scintille dans le vide », « Des poèmes émiettés ». Les dédicaces de ces différences suites précisent le paysage mental dans lequel elles se situent : Paul Celan, Roberto Juarroz, Anise Koltz, Salah Stétié, Fernand Verhesen. Une galaxie de poètes venus de cultures très différentes, que caractérisent tous pourtant un même souci de l'intensité et de la brièveté. Les poèmes de ces dix suites s'inscrivent eux aussi dans cette recherche, mais y ajoutent une dimension paradoxale qui apparaît déjà dans leurs titres : celle du jeu. « Sept ou la face cachée du dé », ce titre est révélateur. Car les chiffres ne sont pas que sur les dés, ils sont aussi dans le nombre des traces, dans le nombre des voyelles, dans le nombre des nuits. Et ce ne sont pas seulement les dés qui ont à nous dire leurs secrets, mais les mains, les feuilles, les oiseaux, les traces, les miettes. Ce secret, nous ne pouvons l'entendre. Le poème multiplie alors les interrogations pour essayer de l'obtenir. Mais les interrogations, on le sait, n'obtiendront pas de réponses et il n'est d'autre issue que de faire des suppositions : « peut-être » devient alors le mot clé qui ouvre dans le réel l'immensité des possibles. Comme un jeu d'allusions infiniment démultipliées.
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Le livre ; l'expérience des mots
Gérard Pfister
- Arfuyen
- Les Cahiers D'arfuyen
- 9 March 2023
- 9782845903371
Une entreprise folle : avec Ce qui n'a pas de nom (2019) et Hautes Huttes (2021), Le Livre constitue le dernier volet d'un triptyque de près de 1000 pages.
Il en est à la fois le couronnement et le mode d'emploi. Aux 1000 quatrains de chacun des deux volumes précédents succèdent ici 500 tercets. Un essai les suit, « L'expérience des mots », qui explicite en prose le sens et la nécessité de l'ensemble, mais de la poésie et de la littérature elle-même.
Il faut prendre le titre Le Livre au pied de la lettre.
Son ambition n'est rien de moins que de faire comprendre ce que c'est qu'écrire, lire et vivre. Ce que c'est que « l'expérience des mots » qui est notre quotidien. Car nous vivons parmi les mots bien plus que parmi les choses. Et aujourd'hui tout particulièrement où nous sommes plus que jamais coupés de la nature.
À quoi sert le livre ? Non pas à nous couper davantage encore du monde, à nous isoler dans une bulle. Non, tout au contraire : il s'agit d'ajourer les mots, de les rendre transparents, fluides, pour qu'ils deviennent une fenêtre sur le réel, sur la nudité inquiétante et merveilleuse du réel. « Le livre / n'est là // que pour nous délivrer ». Nous délivrer des mots par un autre usage des mots, nous délivrer du livre lui-même.
Car, dit le premier poème, « Ce n'est pas du livre / qu'il faut parler // mais de l'expérience ». Et le second :
« Que serait un livre // si ce n'est le silence / où il nous fait entrer ». C'est cette expérience de « délivrance », d'ouverture, qui est l'enjeu du livre : notre liberté même. -
Nizar Kabbani est l'un des plus grands poètes arabes modernes et certainement le plus aimé.
Son rare esprit d'indépendance, son amour de la vie, son rejet des idéologies répressives l'expliquent largement. Comme aussi sa langue, simple, vive et directe.
Si le thème central de son oeuvre est la femme, il ne faut pas s'y tromper : à travers la femme, c'est de la liberté et de la vie qu'il parle, en son nom c'est l'archaïsme et le machisme de la société arabe qu'il dénonce.
D'où sa grande popularité, notamment à travers les interprétations de Fayrouz et Oum Kalsoum, mais aussi les vives réactions politiques que son oeuvre a suscitées. Nizar Kabbani a payé cher sa liberté : il a démissionné de son poste diplomatiqye en 1966 et s'est définitivement exilé durant les 18 dernières années e sa vie.
Les Éditions Arfuyen sont les seules à l'avoir publié de son vivant : en 1988 a paru un choix de ses poèmes en édition bilingue, Femmes, dans une traduction de Mohammed Oudaimah et avec une postface de Vénus Khoury-Ghata.
Pour ce livre il a lui-même réalisé la calligraphie de l'ensemble des poèmes.
Plus de trente après ce livre, devenu culte, reste le seul disponible en langue française. C'est cet ouvrage, paru dix ans avant sa mort, qui est ici réédité.
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Jours ; textes 1969-2019 ; avec quatre lettres inédites de René Char
Marwan Hoss
- Arfuyen
- Les Cahiers D'arfuyen
- 12 September 2019
- 9782845902954
Le 10 novembre 1970, René Char écrit à Marwan Hoss : « Il m'est agréable de vous écrire combien vos poèmes me trouvent, me découvrent peut-être aussi à moi-même, à l'âge des sombres chagrins. » Et un mois plus tard : « Sur la ligne de l'horizon où vous m'êtes apparu, je ne vous confonds avec aucun autre. » Placée dès l'origine sous le double parrainage de Char et de Schéhadé, l'oeuvre poétique de Marwan Hoss est d'une tonalité unique : étrange et grave, ascétique et sensuelle, brûlante et raffinée.
Jours réunit l'ensemble de ses textes depuis 1969 jusqu'à aujourd'hui : 50 années d'écriture revisitées pour arriver à l'épure d'une vie. « J'étais l'enfant des premières pluies / qu'un baiser emprisonne / Ma mère avait le charme / mon père la fatigue / J'étais l'adolescent qui savait / Des pays je compris la distance / Du silence je pris la parole » Ainsi commence ce livre d'une vie, comme si dans cette vision déjà un destin était tracé.
Destin énigmatique, lumineux et cruel, qui semble comme chez Nerval revêtir les d'une femme que le poète sans cesse interroge : « Où vas-tu ainsi / sans détourner ton regard / Je vais vers l'infiniment loin / - me répondit-elle avec tendresse » Sans cesse le rêve s'y mélange à la veille, la mort avec la vie. « Mes yeux étaient ouverts, mais je ne voyais rien, parfois les larmes dispersaient mon regard. » Et les poèmes, brefs, sont autant de révélations, menaçantes ou apaisées.
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Infiniment à venir ; pour le poème et par le poème
Henri Meschonnic
- Arfuyen
- Les Cahiers D'arfuyen
- 17 February 2017
- 9782845902466
Arfuyen a publié récemment l'essai lumineux de Meschonnic sur Le sacré, le divin, le religieux. Un texte qui touche au noeud des problèmes actuels. Mais la pensée de Meschonnic sait relier les choses qui sembleraient le plus éloi- gnées : « C'est le rythme qui mène le langage, le continu de tous les rythmes [...] Le rôle de la poétique est de le montrer, n'en déplaise aux dévots qui ne mesurent pas leur propre idolâtrie, à sacraliser ces textes ou la langue, ce qui ne montre rien d'autre que la confusion intéressée du sacré, du divin et du reli- gieux au profit du religieux. » Ne pas sacraliser les textes : s'engager « pour le poème », c'est s'engager pour un langage du corps : « Le poème est ce qu'un corps fait au langage. » C'est donc un engagement éthique : « La notion même de poème se transforme, elle passe d'une notion traditionnelle, esthétique, formelle à une notion éthique, celle d'une éthique et d'une poétique de la pensée. » Pour le poème est le discours qu'Henri Meschonnic a écrit pour recevoir, en mars 2006, le prix Jean Arp à l'université de Strasbourg. Il y donne une syn- thèse éblouissante de sa pensée du langage et de la société. Écrits au même moment que le discours, les poèmes d'Infiniment à venir (Dumerchez, 2004, très peu diffusé du fait d'un accident) l'illustrent parfaitement. Meschonnic visite l'Historial de la Grande Guerre de Péronne (Somme). Dans la salle cen- trale, il y voit des visages : « On marche sur des mots morts / de terre en terre il y en a / qui affleurent / on leur élève / un monument / on se serre / pour y tenir / ce qui reste / de la parole » Donner vie aux mots, donner rythme à la pensée, tel est le rôle du poème : « C'est nous / que nous venons / voir au musée / sous toutes ces apparences / des parts / de nous / l'absent c'est nous / nous le monstre ».
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Manuel de réisophie pratique
Laurent Albarracin
- Arfuyen
- Les Cahiers D'arfuyen
- 12 May 2022
- 9782845903302
« La tautologie est selon moi le sommet caché, impossible, de la poésie (...) Que la chose soit soi-même soi est le plus beau trésor, et le mieux caché qui soit, la plus grande évidence et le plus grand mystère. » (De l'image, 2007). Ces lignes de Laurent Albarracin résument sa démarche, aussi simple que rigoureuse. Avec Res rerum, Laurent Albarracin introduisait à une nouvelle étape de sa quête paradoxale en la faisant entrer dans le champ de l'alchimie. Le présent Manuel en offre le plein déploiement. Non sans humour, l'« Avertissement au lecteur » donne les précisions suivantes : « Suite à la publication en 2018 de l'ouvrage Res rerum par les éditions Arfuyen, nous avons reçu par la Poste, sans mention d'expéditeur, une liasse de papiers (...). Le paquet contenait un mot griffonné : "Si vous le jugez opportun, publiez ces textes. Publiez-les sous votre nom afin d'écarter les curieux qui viendraient par leurs sollicitudes entraver nos activités." Signé : "Le Collège de Réisophie" ».
En 224 poèmes d'une impeccable écriture, tantôt longs et tantôt très courts, le Manuel nous ouvre à une méditation vertigineuse méditation sur la réalité que nous croyons connaître : « Les choses sont comme des vases / Qui en s'évasant / Se recueilleraient. / Comme une lumière / Qui en éclatant / Se rassemblerait. » Mais encore : « Nous n'entendons pas les choses parler / Parce qu'elles sont des oreilles qui voient. » Le regard espiègle de l'enfant se mêle ici à la réflexion du philosophe en une approche et une connaissance qui sont spécifiquement celles du poète. D'un des plus originaux et profonds d'aujourd'hui.
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Le premier livre de poésie de Benoît Reiss qu'on connaît pour ses proses subtiles et limpides. Et tout de suite un ton nous prend : « Certaines fois / je baisse les yeux / découvre un dédale de ciels distincts assez nombreux / instants évadés à l'intérieur de l'instant / [...] alors je sais que je suis un terrier peuplé d'existences. » C'est un livre étrange, on ne peut plus intime, nécessaire. « Un terrier d'existences ». Un homme se souvient, par-delà l'oubli. Entre profondément dans la chair de sa chair pour y retrouver les visages. Les uns après les autres se relèvent grandsparents et ancêtres, dans les scènes les plus insignifiantes de la vie, dans ces détails infimes où ils sont tout entiers. « Ma grand-mère / adossée au silence / lave son linge de corps / accroupie dans la cour talons aux fesses / elle a calé le baquet contre les pavés / plonge les mains dans l'eau savonneuse / frotte les tissus // elle lève la tête contre la nuit d'été ».
Pas d'explications, pas de pathos, tout est montré seulement. L'errance, l'usine, le camp, la misère. « Le travail de mon aïeul consiste à couper les ongles des morts / à l'aide de tout petits ciseaux / qu'il tient serrés dans la poche de sa veste/ [...] les ongles des morts continuent de pousser / ils fouissent la terre sans relâche /[...] existences aveugles / souterraines » Ce livre est dédié par Benoît Reiss « aux Justes qui ont sauvé mes grands-parents ».
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Demain dessus demain dessous
Meschonnic Henr
- Arfuyen
- Les Cahiers D'arfuyen
- 1 April 2010
- 9782845901483
Tu es là et je suis là les yeux fermés du bonheur pour voir la vie qui nous passe demain dessus demain dessous sans savoir où nous allons.
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Il ne s'agit pas ici d'un livre de poésie au sens où on l'entend d'ordinaire. Aucun recours ici à la magie du rythme et aux prestiges du lyrisme. Une langue nue, perdue dans la contemplation d'un objet bien présent et qui toujours lui échappe. Le Séjour : rien de plus simple, nous sommes ici, maintenant. Nous en faisons tous chaque jour l'expérience. Et nous savons bien aussi que ce n'est pas pour toujours. Que notre permis de séjour un jour expirera, pour un autre séjour plus mystérieux encore. Car le séjour est mystérieux, comme tout ce qui est trop évident. Qu'est-ce que le Séjour ? Quel est cet ici, où il a lieu ? Quel est ce temps où il a cours ? Et qui est celui-là qui est ici «séjournant» ? Telle est la méditation de ce livre. En épigraphe du Vol du loriot, Goorma avait inscrit une phrase de Thérèse d'Avila. Ici c'est une remarque de Sherlock Holmes : «Je ne vois rien de plus que ce que vous voyez mais je me suis entraîné à le remarquer.» Le livre comporte huit parties, comme autant d'étapes dans l'approfondissement de cette unique méditation, obsédante, entêtante, comme on le dit du parfum d'une fleur. : Le séjour, Le souterrain, Le retour, La rivière, Le secret, Le regard, Derrière la porte, Le jour sait. Pas de digression, pas de facilités, pas de relâchement. Une attention droite, aiguë, sans faille. Et une écriture qui n'est que la fine pointe de cette attention. Voici les premiers mots, qui nous dressent le décor, ou plutôt nous mettent de plain pied dans notre existence actuelle, quotidienne : «Le séjour de l'éveil est dans la clarté de l'esprit, dans cette lumière irradiant toute chose de sa présence. Toute chose n'a lieu qu'en son séjour. Partout circule l'énergie, aucune chose ne serait sans elle ; mais la pierre, la fleur, la terre ne se prennent pas pour autre chose qu'une manifestation de cette énergie, aucune chose ne serait sans elle ; mais la pierre, la fleur, la terre ne se prennent pas pour autre chose qu'une manifestation de cette énergie. Seul l'homme pense être quelqu'un, se détache de sa source jusqu'à l'oublier.» Et, au terme de la méditation, quand Le jour sait, ces presque derniers mots : «Le jour dit à ses fils : la nuit, regardez mes soeurs les étoiles. Je serai parmi elles au milieu de vous. Je suis l'immobile plateforme, la capacité ouverte où le mouvement s'accomplit. Et les millions d'étoiles dans le ciel sont autant de jours. Et nos jours, nos jours sont au fil des jours autant de perles qu'un fil de nuit relie. Un point à l'envers, un point à l'endroit. Jusqu'à se rompre. Elles brillent alors, un instant, avant de rouler sous la table de l'oubli.» C'est de nous que parle ce livre, de nous tous, si nous nous souvenions clairement avec Maître Eckhart, comme l'indique la dernière épigraphe, que tous «nous avons la connaissance immédiate de la vie éternelle».
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L'homme qui avait peur des livres
Marcel Cohen
- Arfuyen
- Les Cahiers D'arfuyen
- 13 March 2014
- 9782845901971
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La ballade des hommes-nuages
Michèle Finck
- Arfuyen
- Les Cahiers D'arfuyen
- 13 January 2022
- 9782845903241
Michèle Finck poursuit l'élaboration d'une oeuvre à nulle autre pareille, où l'autobiographie tient une place essentielle et s'exprime d'emblée dans une polyphonie des formes d'expression artistique, musique mais aussi peinture et cinéma.
Sur un piano de paille, son précédent recueil, se concluait sur ces derniers vers : « Poésie dire ce que c'est : la condition humaine. / La musique est l'autre face de la mort. / Sa face terrestre. » C'est une autre face de l'humaine condition qui est au centre de ce nouveau livre : la maladie mentale, envisagée non de manière abstraite, mais à travers la figure de l'homme aimé. Un parmi tant d'autres « hommes nuages » enfermés dans la maladie :
« Pitié pour les hommes-nuages / Qui combattent effroi aux frontières / De la folie » Ce livre n'est pas un recueil de poésie comme on l'entend. Il est d'un seul tenant, d'une seule coulée brûlante de douleur et de tendresse. Et dans le même temps totalement maîtrisé, construit avec un soin obsessionnel : « Être poète, écrit-elle / Passer vie / À chercher / Mot qui manque. / Pas pour le mot. / Pour la guérison. / Pour l'amour. / Pour sauver l'autre. » Les précédents livres de Michèle étaient des tombeaux, peuplés de pleurs et de cris, celui-ci est un chant d'amour et d'un paradoxal bonheur :
« Sans toi homme-nuage / C'est la vie / Sans la vie ». « Homme-nuage / Femme-nuage : /Nous ».
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Souvenirs d'immensité avec troubles de la vision
Marcel Moreau
- Arfuyen
- Les Cahiers D'arfuyen
- 8 March 2007
- 9782845901049
je voyageais comme j'écris, en dévorateur du visible et de l'invisible.
un voyage, une écriture, chez moi, c'est la conquête d'une vérité qui n'est pas toujours ni belle, ni chatoyante, ni rassurante. c'est aussi m'en aller à ses relents, ses sueurs, ses déjections, non pour m'y vautrer, mais pour mettre ma propre humilité à l'épreuve du courage qu'elle exige, pour la regarder en face et en accepter les conséquences. marcel moreau
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Enquête sur les domaines mouvants
Max de Carvalho
- Arfuyen
- Les Cahiers D'arfuyen
- 27 April 2007
- 9782845901056
je respire ce parfum à la brise du soir.
je suis au bord de vous comprendre, énigme sans matin du lever de la nuit. max de carvalho.
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Joze Mlakar n'entendait rien de tout ça, il regardait l'oeil de la caméra dans lequel se reflétait sa petite image, toute petite, qui sombrait dans la surface lisse et calme sous laquelle se trouvait le tourbillon invisible de millions d'yeux : il regardait le gouffre profond qui, il le sentait, l'attirait irrésistiblement.
Drago Jancar.
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La langue oubliée ; suites hébraïques
Alain Suied
- Arfuyen
- Les Cahiers D'arfuyen
- 15 February 2018
- 9782845902640
L'oeuvre de Suied est, selon l'expression d'André du Bouchet, « tout à fait singulière dans l'époque», et on ne commence que maintenant à en mesurer l'ampleur. Lecteur passionné de Paul Celan, il a nourri pour son écriture une exigence sans limites.
Forte d'une trentaine d'ouvrages, son oeuvre est considérable. On citera au Mercure de France Le silence (1970) et C'est la langue (1973) et chez Granit, La lumière de l'origine (1988) et L'être dans la nuit du monde (1991). Les éditions Arfuyen ont publié l'essentiel de son oeuvre : Le corps parle (1989), Face au mur de la Loi (1991), Ce qui écoute en nous (1993), Le premier regard (1995), Le pays perdu (1997), L'Ouvert, l'Imprononçable (1998), L'éveillée (2004), Laisser partir (2007), Sur le seuil invisible (2013) et Le visage secret (2015).
Catherine Chalier, qui fut proche d'Emmanuel Lévinas et qui connaît admirablement la tradition juive, nous livre ici sa lecture de ces trois « suites hébraïques » écrites par Suied en référence directe à la source judaïque qui irrigue son oeuvre. « Alain Suied, écrit-elle, élit une suite de termes hébraïques profondément médités par la Cabale et le Hassidisme. [...] Le poète invite à repenser les différents vocables qu'il cite à l'aune de sa propre inspiration, de sa liberté et aussi de son destin. » Écoutons les mots qui concluent ces suites et qui donnent aussi son titre au recueil : « Corps ancré dans le réel ! / Tu vois avant nous. / Tu sais avant nous / le noir instant fatal. / Et soudain tu nous parles / dans la langue oubliée. »
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« La tautologie est selon moi le sommet caché, impossible, de la poésie (...) Que la chose soit soi-même soi est le plus beau trésor, et le mieux caché qui soit, la plus grande évidence et le plus grand mystère. Tout le monde passe devant. D'où la chose tire-t-elle la ressource d'être soi, sinon de soi ? Mais comment fait- elle ? » (De l'image, 2007).
Ces lignes de Laurent Albarracin résument sa démarche, aussi simple que rigoureuse. Dans cette écriture, pas de facilités lyriques ni de procédés formalistes, mais simplement l'effort de rester au plus près des choses. Discipline féconde si l'on en juge par le nombre de livres qui constituent l'oeuvre d'un poète de moins de 50 ans, publiés chez de petits éditeurs, mais aussi bien chez Flammarion ou Rougerie.
Avec RES RERVM, Albarracin pousse au plus loin sa quête paradoxale en la faisant entrer dans le champ de l'alchimie. Ce texte, émanant d'un prétendu « Collège de Réisophie », aurait, nous dit-on, été trouvé chez un bouquiniste spécialisé en ésotérisme : « Nous livrons simplement ce texte brut à la perplexité de tous. » Vertigineuse méditation que celle-ci : « Ce qui fait la chose c'est qu'elle se répète / En ce seul exemplaire d'elle qu'elle est / Et que pour être encore elle insiste / À jamais une seule et unique fois, / Comme si elle était toute la chaîne / D'emblée de son infini processus. » Mais tout aussi bien méditation loufoque : « Le rire borde les choses d'une toute petite rivière / Où s'en va l'écorce des reflets, le tain des écorchures. / Au bord des choses cette toute petite rivière / Mélange allègrement les poissons et les hameçons. » Entre vertige et rire, l'étonnante poésie d'Albarracin.
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De l'improbable ; mo(r)t
Marie-Claire Bancquart
- Arfuyen
- Les Cahiers D'arfuyen
- 12 March 2020
- 9782845902916
C'est Marie-Claire Bancquart elle-même qui a voulu ce livre ultime qui regroupe deux textes inédits : MO(R)T, écrit en 2010 sous une forme très singulière dans son oeuvre, et De l'improbable, le dernier texte qu'elle a pu elle-même relire. Elle a demandé à son élève et amie Aude Préta-de Beaufort d'y ajouter une courte postface.
Citons-en ici le premier poème, d'une discrétion tout ironique : « Attendant les paroles de la maladie // que signifie cette main / agrippée // on ne sait trop si c'est à la mort / ou à la vie? » Et cet autre, le tout dernier, déchirant de douceur : « Laissez moi seule / avec l'oiseau / qui m'apporte / ce que vous savez ».
L'une des voix féminines majeures de la poésie francophone contemporaine, Marie-Claire Bancquart est décédée à Paris le 19 février 2019 et ses cendres ont été dispersées au Père Lachaise. Comme son écriture était dépourvue de toute ostentation, elle a voulu que son départ soit également sans artifice.
Le mois précédent son oeuvre était entrée dans la collection Poésie-Gallimard avec une anthologie intitulée Terre énergumène. En juin 2016 avait paru aux Éditions Arfuyen son dernier recueil au titre testamentaire : Tracé du vivant.
Chez Marie-Claire Bancquart, l'expérience de la souffrance est fondatrice. C'est celle d'un corps qui depuis l'enfance l'a tenue recluse et empêchée. De cinq à neuf ans, elle a vécu enfermée dans un hôpital, le corps plâtré de la poitrine au pied gauche et au genou droit. Aucune plainte cependant chez Marie-Claire Bancquart, aucune condamnation de la vie, mais au contraire une tension permanente pour échapper au désespoir et reconnaître dans les choses les plus simples une fraternité de destin.
Une écriture dédaigneuse de toute facilité lyrique, de toute pose philosophique, mais soucieuse avant tout de la plus grande justesse dans une présence au monde ressentie comme terriblement précaire et démunie.
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Ici, ce titre si simple, si nu, qui résume à lui seul toute l'entreprise poétique de Pierre Dhainaut, c'est l'un des poèmes liminaires de ce nouveau livre, « Urgences » qui nous en donne le juste sens : « Tu n'en sortiras pas, n'essaie pas de fuir, / ta place est ici.
[...] Regarde, / affranchis le regard, ces portes / sont innombrables, d'ascenseurs et de salles, / [...] T'aurait-on expliqué où l'on te mène, / c'est le moment de te dire : / ta place est ici. ».
En ces trois lettres est inscrite toute une éthique de courage et d'humilité : être ici, quoi qu'il arrive, ne pas fuir la réalité, même la plus dure, dans l'illusion des mots et des concepts. Faire face à la réalité au plus près, au plus frémissant, au plus énigmatique, sans essayer de l'éluder ni de se rassurer. « Ta place est ici », le poète ne nous dit rien d'autre. Mais c'est la discipline la plus exigeante, la plus féconde, pour nous qui ne cessons de fuir le réel dans un monde virtuel ou chimérique.
« Le moindre témoignage écrit arraché au désespoir nie le désespoir. Ne fût-ce qu'un instant : cet instant est souverain. » La conscience aiguë du réel que donne l'écriture porte en elle-même une forme de salut. En cela l'éthique poétique de Pierre Dhainaut rejoint profondément l'expérience de Rilke.
Hiersein ist it herrlch, écrit le poète de Duino dans sa septième Élégie. « Être ici est magnifique ». Quel que soit cet ici. Même celui de la peine et de l'angoisse.
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Lorsque je suis arrivé ici, j'étais un homme mort.
Il me semblait " détruit à jamais, le monde merveilleux ", et je ne voyais pas d'issue à ce champ de ruines où grouillaient encore les hyènes du champ de bataille, les chacals du mensonge et les serpents qui se repaissent de la pourriture. Comme beaucoup d'autres je déambulais dans une sorte de rêve éveillé, un cauchemar ; dans les villes, on continuait de tirer et de crier, et il me semblait bien avoir compris une chose : ce n'est pas avec des coups de feu et des cris que l'on sauvera l'humanité.