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jean paul goux
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Quatre amis de longue date se retrouvent dans la propriété de Morgante, dont les jardins jouissent d'une réputation internationale. Ils ont pour mission, dans l'immense demeure, de dresser un inventaire des biens, ceux du jardin mais aussi ceux de la maison et de la bibliothèque, avant leur destruction définitive. Pourtant ils sont tenus par le faible espoir que cette mise en mémoire sauvera l'endroit de l'annihilation totale.
Ce lieu mystérieux et magique, où les jardins prennent peu à peu la place d'un personnage à part entière, devient bientôt le révélateur des vérités du passé et du présent qui lient les différents protagonistes. Ainsi se tissent, à travers les voix entremêlées, les drames et les passions du petit groupe, pris dans un inexorable huis clos.
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« Au soir de ce jour-là, j'ai résolu de garder une trace de ce qui arrivait, qui avait commencé, sans que je sache vraiment ce qui avait commencé. » C'est une réflexion intime, tout intérieure que « note » le narrateur de ce roman au charme puissant qui interroge le « colombier de la mémoire », cette volière d'où s'échappent trop souvent les pigeons du souvenir. Après tant d'années riches de leurs mémoires partagées, Vivien est profondément troublé lorsque Julie, sa compagne architecte, évoque des souvenirs très précis de chantiers qui n'ont pour lui aucune réalité, et qu'il met en doute. Le monde clos de leur entente amoureuse et intellectuelle ouvert sur le jardin et ses ciels se fragilise, soudain menacé par la traversée inquiétante de ces « sourdes contrées » que fabrique à notre insu le Temps qui passe. Qu'il s'agisse d'un être ou d'un projet d'architecture, quelle est la réalité de nos souvenirs dès lors qu'ils sont aussi nourris de nos rêves et de nos rêveries ? ce sont ces troublantes confusions que scrute Jean-Paul Goux dans ces « notes » teintées d'une mélancolie non dénuée d'ironie, et dans une langue somptueusement poétique.
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Le séjour à Chenecé ; les quartiers d'hiver Tome 3
Jean-paul Goux
- Actes Sud
- 3 March 2012
- 9782330006167
Considéré depuis l'enfance comme un "pauvre d'esprit", Alexis Chauvel, gardien d'une ancienne abbaye désormais transformée en propriété familiale, vit dans le sentiment d'être invisible aux yeux de ses contemporains et attend, face au mutisme du monde, de se révéler à lui-même dans l'espoir d'en finir avec une vacance existentielle et un bannissement qui le condamnent à avoir le Temps pour unique demeure.
"Je suis Alexis Chauvel, pauvre d'esprit, comme ils disent, depuis plus de quarante ans gardien de l'Épine, comme nous disions, gardien de Chenecé ou gardien de l'Abbaye, comme je préfère dire, comme je me le dis à moi-même." Ainsi commence le récit à la première personne que délivre Alexis Chauvel, pauvre d'esprit aux yeux de sa parentèle parce qu'il a, depuis son plus jeune âge, passé son temps à "nébuler", à se contenter d'"être là", passif, et à éprouver le passage du temps, pour oublier la "poigne féroce" qui lui "serre le ventre". Car, dès l'enfance, Alexis Chauvel a vécu dans le sentiment d'être invisible pour autrui au point qu'à l'âge adulte, il se sent incapable de se reconnaître lui-même tant qu'il n'aura pas donné à sa vie la forme susceptible de révéler ce qu'il est, tant qu'il n'aura pas fait la chose qui doit le révéler à lui-même.
Incapable de se concentrer dans l'exercice de la pensée ou de la réflexion, sans cesse plongé au coeur d'envahissantes rêveries, Alexis Chauvel a naturellement échoué dans ses études, et a donc été chargé, à défaut d'autres perspectives professionnelles, d'assurer à l'année les fonctions de gardien de la propriété de Chenecé, une ancienne abbaye en ruine posée sur une île bordée de falaises, au-dessus des prés et de bois environnants, où la tribu familiale se retrouve pour les vacances. Trois jours par semaine, il travaille également comme coursier pour un libraire de la petite ville voisine.
Comme souvent dans l'oeuvre romanesque de Jean-Paul Goux, Le Séjour à Chenecé s'articule autour du sentiment du temps éprouvé au sein des divers espaces clos d'une "maison". Ainsi de l'ancienne sacristie des moines, qu'Alexis appelle "l'armoire", une pièce ignorée de tous, et où il découvrira, bien plus tard, d'anciens appareils photographiques et une collection de plaques de verre anciennes qui lui feront croire longtemps qu'il doit devenir photographe pour se trouver lui-même. Le sentiment du temps, c'est aussi celui de l'infinie durée des jours qu'un homme passe seul dans une abbaye que ne hante plus aucun dieu et celui de la longue patience, portée par le projet auquel il va, plus tard, s'attacher après sa lecture de la Légende dorée dont il a emprunté un exemplaire au libraire : celui de "tout lire", et de noter toutes ses lectures, celui de "se former" comme s'est formé l'autre Alexis, celui de la légende, afin d'écrire, "le moment venu", ce qu'il appelle "le livre de sa vie", la chose qu'il a à faire pour se reconnaître tout entier.
Alors qu'il travaille à "se former" de la sorte depuis quelques années, une étudiante ayant assisté à une scène où Alexis Chauvel se voit humilié par un client de la librairie apostrophe Alexis en lui demandant quel plaisir il trouve à "faire l'humble". Sidéré de se voir pour la première fois reconnu par quelqu'un, Alexis considère néanmoins qu'il s'agit là d'une reconnaissance prématurée puisqu'il n'a pas encore accompli la chose qu'il doit faire, en l'absence de tout lien séculier.
De révélations en révélations apparues dans l'attente d'un impossible accomplissement de soi, le récit est celui de quarante années qui auront passé à la vitesse de l'éclair et au bout desquelles Alexis Chauvel n'aura pas fait la chose à laquelle il s'était si longtemps préparé. Il s'apprêtera alors à brûler les nombreux cahiers où il aura consigné les extraits de ses multiples lectures, déposera dans une cachette de l'armoire le manuscrit qu'on vient de lire, puis se rendra dans le verger médiéval qu'il a reconstitué. Pour y laisser venir la mort, comme l'Alexis de la légende lorsqu'il sent que "le terme de sa vie est proche" et meurt en serrant dans sa main de "livre de sa vie" ? Ou bien pour en finir volontairement, s'il considère qu'il a échoué à s'accomplir parfaitement ?
Revisitant la légende d'Alexis, Jean-Paul Goux reprend ici le thème de l'incognito abordé marginalement dans L'Embardée (Actes Sud, 2005) tout en solennisant et en ritualisant par l'intensité du propos quelques-uns des éléments constitutifs de son imaginaire - ainsi de la photographie comme trace des strates enfouies du passé, de la parole (vivante ou destructrice) ou du désir de maîtrise de l'existence.
Veilleur de l'invisible, grand écrivain du Temps, sous le signe de Proust comme de Julien Gracq, Jean-Paul Goux donne ici un récit bouleversant et d'une magnifique cohérence qui entre en résonance avec la figure de l'Alexis de la légende, figure à laquelle Hofmannsthal assimilait le poète parce que, écrivait-il, comme le "pèlerin de la vieille légende, étrangement, il habite la demeure du temps et qu'il vit dans sa propre maison comme un inconnu".
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Presque quarante ans après la séparation qui a sonné le glas d'une amitié de jeunesse, un coup de téléphone de bastien convoque brutalement simon à un rendez-vous, contraignant ainsi ce dernier à renouer avec le souvenir de cet ami disparu qui, après avoir fait naître chez l'enfant solitaire qu'il était un rêve de beauté, de communauté et d'harmonie, devait, à la fin de l'adolescence, le laisser aux prises avec l'énigme d'un abandon aussi soudain que définitif.
Dans l'espoir d'obtenir enfin l'explication à un événement qui a pris en otage une partie de sa vie, simon se résout à accepter l'invitation de bastien à venir le rejoindre sur les lieux de l'enfance et à confronter le démon de l'interprétation aux surprises du réel. radiographie de toute relation humaine en ce qu'elle recèle toujours d'insondable mystère, remémoration, écorchée vive, d'une expérience de fascination restituée au fil d'une écriture musicale, ample et précise, cet étonnant roman d'apprentissage à rebours replace magistralement le principe d'incertitude au coeur des préoccupations de la fiction.
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dans une correspondance adressée à deux de ses
amis, le narrateur de l'embardée cherche à comprendre l'origine et la nature de ce qu'il perçoit et vit comme un désastre : la liquidation, par ses parents, de l'appartement extraordinaire aménagé par son arrière-grand-père dans l'un des nombreux immeubles jadis construits par lui dans la capitale, et qu'il a lui-même fréquenté enfant lorsque ses grands-parents l'occupaient, et plus tard, à vingt ans, durant tout un mois d'hiver.
pour ce descendant d'une lignée d'architectes, architecte lui-même, la perfection n'a jamais eu d'autre visage que celui de ces rêves de pierre que s'employèrent jadis à matérialiser des hommes alors soucieux de faire don de la ville à ceux qui l'habitaient. tout en réactivant de pénibles épisodes du roman familial, la découverte du destin réservé à un lieu très aimé vient rappeler au narrateur les saccages
architecturaux commis par son père, dans la ville
d'après-guerre, au nom de principes techniques et
économiques dont la mise en vente et le démembrement de l'appartement ne représentent que le plus cruel, car le plus intime, avatar.
dans son exploration de la face cachée, et souvent
douloureuse, de toute filiation, l'embardée conjugue désarroi et révolte, au fil d'une prose implacable et ardente dont la phrase déploie toutes ses magies, comme pour exorciser, s'il se peut, les pouvoirs que la mort s'arroge, de leur vivant, sur les menées et les désirs des hommes.
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Thibaud a perdu son épouse Claire depuis peu. Leur appartement parisien devenu insupportable, il prend sa retraite, va s'installer dans la grande maison de Claire, dans une clairière en forêt, ouverte sur un vaste paysage vallonné. Il pense écrire à ses trois couples d'amis en évoquant sa vie dans cet espace coupé du monde, avant de les y inviter. Claire était dessinatrice de ciels et de nuages, observés autour de la maison : il craint de l'ouvrir, occupe l'appartement aménagé dans la grange. Lorsqu'il ose ouvrir la maison, découvrant dans l'atelier quantités d'oeuvres et d'archives, se pose la question de leur destin futur : il décide d'en faire une maison d'artiste, qu'il proposera à Vincent, un plasticien assez jeune pour s'en charger. Sa réponse, évasive, forme la fin du roman.
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La fabrique du continu ; essai sur la prose
Jean-paul Goux
- Champ Vallon
- Recueil
- 15 October 1999
- 9782876732971
" Les trois critères essentiels par lesquels Valéry définissait la spécificité du poétique : la fabrique de la liaison, la fabrique de l'énergie et du mouvement, et la fabrique de la voix, me paraissent tout aussi bien au coeur des exigences littéraires de certaines proses romanesques.
Telle est la première strate de ce livre : une réflexion sur la fabrique du roman, à laquelle se superpose une réflexion plus proprement esthétique, où sont posées ces valeurs d'écriture que voudrait saisir l'expression de continu. Le "continu" n'est pas un concept, mais une image privilégiée par laquelle, en la faisant jouer de toutes les manières, je me suis attaché à cerner des valeurs esthétiques dans la prose romanesque : par là, ce livre prend sa place dans le débat contemporain sur le genre romanesque.
S'il ne polémique pas, il dessine un territoire d'affinités, au milieu duquel j'écris. En termes esthétiques, le roman est ainsi conçu comme un "art du temps", qui cherche "des réponses aux questions et aux angoisses de l'homme devant la temporalité" et qui pose comme une valeur essentielle la dimension de la continuité temporelle dans l'oeuvre. En termes de réflexion sur la fabrique romanesque, le roman est considéré dans son oeuvre contre le temps, son oeuvre avec le temps et son oeuvre dans le temps : c'est selon ces trois aspects que sont envisagés la liaison, l'énergie, le rythme, la syntaxe et la voix dans la prose romanesque.
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A travers une approche dynamique et neuve de Kleist, Le Tasse, Chateaubriand, Balzac, Jean Thibaudeau, Gracq et de l'expérience intérieure de l'écrivain, ce texte remarquablement concis restitue, en en renouvelant l'urgence, l'exigence littéraire perdue pour les médias, par les modes et par la culture de masse.
En pleine mutation technologique de l'écriture, Jean-Paul Goux ose opposer à la dégradation du langage créateur l'acte de l'écrivain authentique pour qui l'écriture par la puissance humblement vécue de la syntaxe et de la prose trace aussi physiquement que métaphysiquement la seule liberté qui délivre du temps les hommes. Dans cette analyse intime de l'idéal littéraire, La Voix sans repos apporte une preuve à la fois érudite et naturelle de l'indémodable vitalité de la création poétique et romanesque dont la voix ne peut pas se taire sans menacer d'extinction notre parole.
La Voix sans repos qui nous plonge simultanément dans plusieurs siècles pourrait être une sorte de manuel d'initiation à l'irremplaçable littérature.
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OEdipe
Patrick Absalon, Giuseppe Manfridi, Gérard Pommier, Suzanne Saïd
- Autrement
- Figures Mythiques
- 21 September 1999
- 9782862609485
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Convoqués auprès du lit d'hôpital où gît un ami très cher qu'un accident cérébral a définitivement éloigné du monde, un couple bouleversé revisite dans la douleur les épisodes marquants d'une longue histoire commune, à la manière d'une enquête sentimentale d'où surgit le terrible soupçon que l'absence, désormais irrémédiable, qu'ils ont sous les yeux n'est que la forme ultime du destin auquel son abyssale solitude a condamné de son vivant un homme dont, sous le couvert de l'amitié et de «la vie comme elle va», chacun s'est toujours employé à ignorer les tourments et à mésinterpréter les choix, les paroles et les gestes.
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Après la disparition de Chaumes, un architecte de jardins, Wilhem, le confident et ami de toujours, et Maren, la jeune femme que Chaunes a aimée, se retrouvent. Leurs deux voix se relaient pour évoquer le défunt et l'histoire des Cravanche, la famille maternelle de Chaunes, qui a pris une part active dans la vie politique de la France des années 1920 à la fin des années 1950.
A travers la geste d'une dynastie d'orateurs et d'hommes d'Etat, La Commémoration interroge avec une rare acuité le statut du politique - de l'éthique au discours. Cependant que face à cette parole omniprésente et dominatrice, le jardinier Chaunes tente d'ériger un contre-pouvoir par la seule vertu de son oeuvre.
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Il y a vingt ans que Maren a quitté la maison forte. Aujourd'hui son père, qu'elle n'a pas revu depuis, veut lui parler. Sur la route du retour aux lieux anciens, Maren se souvient et s'interroge. Qu'est devenue la maison forte où son père s'est retiré ? Qu'en fut-il, durant tout ce temps, de sa vie ? Et que peut-il avoir à lui dire ?
C'est sur l'invitation de Maren que son ami Wilhem se rend lui aussi à la maison forte. En chemin il songe à la relation singulière qui s'est nouée entre eux. Aux questions de Maren répondent ses propres interrogations, cependant qu'à la voix de Maren fait écho, infatigablement, la sienne. Peu à peu les sentiments de Wilhem se précisent, il comprend qu'il aime Maren et qu'il ne va la voir que pour le lui dire.
D'une beauté envoûtante, ce roman en forme de quête et d'enquête, où la passion de savoir le dispute à la peur de dévoiler, où l'impressionnante densité de l'écriture se mesure à l'épaisseur du temps, est le roman de la deuxième initiation : celle qui contraint à déconstruire l'ancien théâtre des représentations patiemment échafaudé, à se déprendre de tout au moment même où l'on entre en possession de l'héritage. Il se nourrit d'un vertige dont l'écriture saisit ici avec une autorité inspirée toute la périlleuse énergie pour explorer les désordres troublants - et le chaos, parfois - obscurément au travail au coeur même des formes élaborées par l'homme : ses paysages, ses rencontres, ses sagesses. -
D'abord romancier, Jean-Paul Goux s'est fait historien, ethnologue et sociologue pour composer ce portrait de la classe ouvrière, au fil d'une enquête menée au milieu des années 1980 dans la région de Montbéliard. Anciens ouvriers des forges et des filatures, travailleurs de l'automobile (les usines Peugeot), les hommes qu'il a rencontrés sont les maillons d'une histoire collective dont la trame se confond avec celle de la révolution industrielle qui s'achève sous nos yeux. Et c'est en écrivain qu'il s'est mis à l'écoute des voix qui composent cette mémoire vivante.
A l'heure du village mondial, de la délocalisation, des restructurations, de la spéculation et de l'omnipotente prédation du grand marché unique, c'est avec un sens renouvelé de l'importance des hommes, de leur travail et de leurs lieux de vie qu'on appréciera un ouvrage qui remet le temps de l'humain au coeur du paysage économique.