Opportunisme, cynisme, peur, exode, curiosité, bavardage, miracle, virtuosité.
à l'occasion d'un séminaire sur le concept de multitude, paolo virno revient sur l'ensemble du lexique de ses précédents ouvrages, pour en enrichir le sens et en préciser les contenus. en effet, le concept de multitude, par opposition à celui, plus familier, de peuple, est un outil décisif pour toute réflexion sur la sphère publique contemporaine. ces deux concepts opposés l'un à l'autre, ont joué un rôle de première importance dans la définition des catégories politico-sociales de la modernité.
Et si la notion de peuple l'emporta prioritairement, on peut se demander aujourd'hui si, à la fin d'un cycle long, cette ancienne dispute n'est pas en train de s'ouvrir à nouveau ; si aujourd'hui, alors que la théorie politique de la modernité subit une crise radicale, la notion de multitude, autrefois déboutée, ne témoigne pas d'une extraordinaire vitalité.
Les formes de vie contemporaines sont marquées par l'impuissance, hôte importun de nos journées infinies. Que ce soit en amour ou dans la lutte contre le travail précaire, l'amitié ou la politique, une paralysie frénétique saisit l'action ou le discours quand il s'agit de faire ou de dire ce qu'il conviendrait de dire et faire. Mais, paradoxalement, cette impuissance semble due non pas à un déficit de nos compétences, mais plutôt à un excès désordonné de puissance, à l'accumulation oppressante de capacités que la société contemporaine arbore comme autant de trophées de chasse accrochés aux murs de ses antichambres. Virno poursuit ici son étude systématique du langage contemporain où s'exprime toute la complexité de notre modernité et qui témoigne de cette inversion des sens qui attribue la puissance au renoncement, ou la détermination au fait de taire ce qu'il nous faudrait dire. Livre sur le langage, De l'impuissance indique de loin les formes possibles d'un antidote, d'une voie de salut, qui nous ferait « renoncer à renoncer », et « effacer l'effacement de notre propre dignité».
Le verbe Avoir est au coeur de notre langage.
Nous disons continuellement que les êtres humains ont des pensées, des expériences, ou encore qu'ils ont peur ou soif. Quelles implications se cachent derrière ces phrases familières ? En suivant les aventures de l'avoir, Paolo Virno nous entraîne dans un voyage à l'intérieur de la nature du langage et de l'humain. Celui qui a quelque chose ne se confond jamais avec ce qu'il est. Cet écart entre ce que l'on a et ce que l'on est nous fait réfléchir sur nous-mêmes, sur ce que nous faisons et dont nous avons conscience. Mais c'est aussi par là que nous sommes libres d'abandonner ce dans quoi nous ne nous reconnaissons plus, et de désirer ce que nous n'avons pas encore : un ami intime, une vie plus gratifiante, une communauté.
L'usage de la vie et autres sujets d'inquiétude est une édition en poche d 'Opportunisme, cynisme et peur (L'éclat, 1991), mais très largement augmentée puisque le volume rassemble, autour de cinq essais principaux, 18 autres essais inédits, publiés en Italie entre 1981 et 2015 et qui rendent compte d'un parcours philosophique parmi les plus intéressants de la péninsule. C'est la très grande originalité de Virno de faire se rencontrer des questionnements à priori étrangers les uns aux autres: ainsi la disparition des flippers est associée à la grande transformation industrielle des années 80, le joueur de poker est apparenté à l'intellectuel précaire, etc. Ainsi une certaine philosophie du langage s'introduit dans nos outils quotidiens pour comprendre le monde.
L'un des derniers mécanismes grammaticaux que l'enfant assimile quand il fait l'apprentissage du langage, c'est la négation. "Non, ne...pas" est la dernière chose qu'il maîtrise et cette maîtrise signale son entrée dans le monde. Paradoxalement, le "Non" affirme donc l'existence du monde et la négation a ainsi un statut tout à fait particulier, qui fait dire à Paolo Virno, dans cet essai brillant, que "la négation c'est l'argent du langage", parce que c'est elle qui donne sa "valeur" à l'affirmation. Après les essais sur la question du possible (Le souvenir du présent), la régression à l'infini (Et ainsi de suite), ce troisième volet sur la négation achève un cycle sur les fondements logiques de la métaphysique.
Développant sa réflexion sur la "fin de l'Histoire", Virno propose une analyse du temps historique appuyée sur les concepts de puissance et acte, couple vénérable s'il en est de la réflexion philosophique.
Mais la temporalisation de ces deux concepts permet de faire surgir une évidence, bouleversante si on l'étend à différentes sphères et en particulier à celle du travail : ce que les adeptes d'une fin de l'Histoire parviennent à mettre en oeuvre, à travers ce qui n'est que l'effet d'une pathologie de la mémoire, c'est la négation de ce qui sous-tend la puissance. Et l'enquête menée autour du concept de force de travail prend une dimension toute particulière, dès lors qu'elle montre à quel point le déni d'une historicité du temps n'est que l'outil qui permet de faire l'économie de ce qui est porteur de la seule puissance, cible privilégiée de la société capitaliste, à savoir l'individu en tant que corps vivant et producteur de force de travail.
La magistrale et précise analyse de Virno est sans appel. Elle balaye nombre de méprises et met au jour l'insupportable violence qui sous-tend en particulier la conception heideggérienne de l'historicité ayant ses racines dans la mort.