Parmi les innombrables ouvrages sur Venise, le livre de Bettini tient une place particulière en ce qu'il adopte dès l'abord une position qui conçoit Venise comme obéissant à une intention artistique propre, faisant de la ville une seule et unique oeuvre d'art. Tout entière construite dans une relation à la lumière et au rythme, Venise est « la ville, la plus ville qui soit. Non seulement les places et les rues, les maisons et les églises ont été construites par la main de l'homme, mais le terrain lui-même a été fait par l'homme. Les Vénitiens ont dû fixer et «amarrer» leur sol, consolider le fond boueux et instable des îles avec des pylônes. Construire enfin la base elle-même de la ville, pour affirmer leur volonté de vivre, et donner à cette vie une forme et un destin».
En 1952, un riche vénitien, Paolo Masieri, commande à l'architecte américain Frank Lloyd Wright la construction d'un palais sur le Grand Canal de Venise. Les plans sont dessinés, mais le tollé que suscitera le projet résolument moderne de Wright dans une ville figée dans son passé, empêchera sa réalisation. Bettini, pourtant très attaché au passé de la Sérénissime prendra fait et cause pour le palazzo Masieri au nom de la richesse architecturale de la ville. Il ne fut pas entendu, mais son plaidoyer pour « Wright à Venise » est un vibrant appel au génie vénitien ancestral qui, en refusant Wright, signe son arrêt de mort et sa progressive muséification. Ce texte de 1954 est introduit par Troy Ainsworth qui a consacré un ouvrage à ce rêve de Palazzo Masieri.