« Or je suis le bois de Koby ka. Je suis le bois de Koby ka et ces pages sont à la forêt au carbone aux mousses et aux bêtes. Ces pages sont aux errants aux cailloux aux poussières et à l'humus. Elles sont à la pourriture ligneuse, aux lichens, lichens aux rongeurs. Ces pages sont aux noms des bois à ceux des forêts tout autant qu'aux innommés. Ces pages sont aux bruyères aux fougères aux tourbes et aux lombrics. Elles sont aux terriers. Elles sont à l'irrégularité. À l'imprévu. Au perpétuel. À l'enfoui au très très enfoui. » Et je m'obstine, m'acharne, ahane continue. Voici un rassemblement. C'est trempé, truffé, couturé, de reco- pillages travail à façon de reconnaître quelques dettes et les « grands alliés substantiels ». J'ai cherché les traces, les poussières, les surgissements et les refuges. Mais la poésie hein. Elle sait, elle. C'était du gros de matière laissée à lentement macérer, parfois brassée à manière de fabrication de terre quoi fut ensuite distillé à l'issue de plus d'une année d'attente et donc, cher lecteur, courage, vivons, répétons, portons nos amis dans la nuit, dans la brume.
Les images qu'induit la route, quand on arpente les plaines de l'Est ou que l'on roule en taxi vers Damas dont on ne sait encore que le nom. Les sensations, surtout : la poussière à la traîne des bus, le son des caoutchoucs sur l'asphalte, l'odeur du diesel brûlé. Il y a les bribes de réel saisies à la volée pendant les virées au Maghreb, en Europe de l'Est, au Proche-Orient. Et il y a les cris de violence proférée quand on a dû rentrer bosser et que cette vie nous meure. L'immense force de ce texte, c'est d'arriver à faire lever toute cette matière éparse, à ras le sol, normalement ignorée, et à lui donner forme et éclat. Du gasoil, faire soleil. Soleil gasoil. Le premier livre de Sébastien Ménard, qui écrit en continu sur diafragm.net. Un livre-repère pour une génération et le renouvellement du road book.
Sur les routes de l'Europe, le long des fleuves interminables, sous le soleil, dans la poussière, toujours en mouvement, que cherchent-ils ? Les héros de cette histoire se racontent au « nous ». Ils se déplacent en voiture, en vélo ou à pied. Ils dorment dehors ou chez l'habitant, ils écoutent leurs récits et ils partagent leurs danses. À défaut d'une même langue, c'est un élan commun qui les portent les uns vers les autres. Alors que le monde alentour, le nôtre, n'en finit plus de sombrer dans sa propre caricature, ils partent vers des contrées où les rêves sont encore possibles.
Dans ce western de l'Est et d'aujourd'hui, les explorateurs sont doux et sincères. Indiens d'un soir entre les étoiles, ils ont pris le Danube pour guide et leur quête intime et magnifique, mille fois échouée et mille fois recommencée, ne connaîtra aucune frontière.
Comme un album folk étrange, Notre désir de tendresse est infini s'écoute autant qu'il se lit. Conçu pour la déclamation à voix haute et porté par une création musicale, ce 14 tracks EP est un voyage autour du monde tel qu'il s'écoule en et en dehors de nous. Et si en réalité sa forme sauvage était celle d'un disque fou, où les mots dits se tissent à mesure que l'instrument avance avec eux ? Un lieu étrange aux racines multiples, dans la proximité des voix de Daniel Biga, Fred Griot ou Allen Ginsberg, entre performance beat, conte de l'Est et boeuf entre musiciens de la langue.
Jazz des flammes humides et du Caucase, contes incarnés du Danube, airs à l'oud pour faire danser les peaux d'ours et de loups, ces poèmes sont une invitation à un chamanisme intérieur. Un blues tendre et heureux que la nuit appelle.