Ouvrage composé de trois études. La première s'intéresse au rôle que joue la musique au sein du système de Schopenhauer et prétend y trouver une « clé d'ouverture » qui non seulement l'éclaire mais met en relief aussi l'un de ses paradoxes : comment expliquer que la musique soit à la fois la volonté, étoffe de toute souffrance, et la plus délectable des choses ? Elle offre une introduction à la philosophie de Schopenhauer, à son esthétique, et signale quelques-uns des contresens faits à son égard, notamment par Wagner et les wagnériens contemporains. Les deux autres études abordent l'esthétique musicale de Schopenhauer d'un point de vue esthétique, affirmant que la conception schopenhauerienne de la musique est la seule à la prendre véritablement en considération et à en tirer toutes les conséquences, conception que Stravinsky fait sienne en affirmant : « La musique est par son essence impuissante à exprimer quoi que ce soit » - puisqu'elle n'exprime qu'elle-même.
Une certaine critique d'art, si répandue qu'elle est devenue vox populi, nous a habitué depuis fort longtemps, notamment depuis l'avènement de l'art "contemporain" , à considérer que l'art est véhicule ou "expression" de bien des choses - du moi, des sentiments, des idées politiques, climatiques, morales -, dont semblent exclues les idées spécifiquement artistiques. Ainsi, ce que le spectateur d'une oeuvre d'art est invité à "comprendre" n'est pas l'oeuvre mais ce qu'elle est réputée signifier (exprimer), sens qui ne se voit ni ne s'entend paradoxalement pas, que l'oeuvre "cache" ou dissimule.
Conscient de cette dérive, Jankélévitch avait affirmé lors d'un interview que personne n'aime la musique pour ce qu'elle est ; il semblerait qu'il faille étendre cette vérité à un terrain plus ample : presque personne n'aime l'art pour ce qu'il est. Que signifie aimer l'art pour ce qu'il est ? Telle est la question qui oriente ce travail. Il s'agit, dans la mesure du possible, de penser l'art en tant qu'art, et l'artiste en tant qu'artiste, autrement dit en tant que créateur d'idées artistiques provoquant des émotions esthétiques.
Aimer l'art pour ce qu'il est, c'est trouver le sens de l'oeuvre dans l'oeuvre même, se confondant avec sa beauté. L'oeuvre d'art, lorsqu'elle est conçue pour être jugée comme telle, s'adresse avant tout à une sensibilité esthétique ; c'est alors qu'on peut l'appeler "objet de beauté" .
On trouvera ici une réflexion sur le paraître, que la philosophie a coutume, de Platon jusqu'à Heidegger, d'opposer à l'être ou à ce qui existe (le réel). Cet essai se recommande au contraire de Parménide pour affirmer l'identité du paraître et du réel.
Platon appelait déjà son entreprise philosophique propre un « parricide » de Parménide, dans le dialogue qu'il lui avait consacré. Et parricide il y a bien. Il s'agit en effet chez Platon, pour des questions essentiellement morales, d'accorder l'existence non seulement à l'être mais aussi à l'autre, c'est-à-dire à ce qui n'existe pas.
Paradoxalement, les lecteurs contemporains de Parménide, voulant remonter à celui-ci avant sa négation par le platonisme, n'ont pas su se contenter du lapidaire « ce qui est est ». Ils ont prétendu y voir une distinction entre l'existence et l'être, ou encore entre l'apparaître et la vérité.
Ce parricide n'a donc vraisemblablement pas suffi à faire taire la sentence parménidienne qui invite à faire bon accueil à l'existence ; on en refait régulièrement le rituel. Cet essai propose d'aller à rebours.
L'oeuvre de Clément Rosset cherche à établir une « théorie du réel », comprenant par là une critique de l'illusion. Trois figures principales n'ont de cesse de revenir du premier au dernier de ses livres : le réel, le double, la joie. Si Rosset est suffisamment « reconnu » dans le milieu éditorial, il demeure mal connu du milieu universitaire et professionnel, associé qu'il est à bien des auteurs ou des « mouvements » dont il a pourtant pris le soin de se détacher. Peu lu, il est surtout, nous semble-t-il, mal lu : les quelques études qui lui ont été consacrées, les commentaires que son oeuvre suscite çà et là, donnent souvent l'impression de passer à côté de l'essentiel, de ne retenir de ses trois figures - le réel, le double, la joie - que le son creux de leur nom. Cet essai tente de montrer au contraire la spécificité de la « philosophie tragique » de Rosset, en la prenant pour une tentative cohérente et rigoureuse d'aborder l'expérience humaine du désir qui rende compte de la paradoxale et énigmatique joie de vivre.
Cet ouvrage est dans la continuité de la réflexion de Santiago Espinosa, qui étend ses vues sur la musique à l'art en général, et qui aborde des sujets plus vastes comme la science physique (l'auteur fait observer que les scientifiques contemporains adoptent la perspective critiquée dès lors qu'ils cherchent à faire une « image de l'univers »). À cette perspective, Espinosa oppose la perception auditive, plus prompte à saisir le mouvement et le changement, non susceptible par surcroît d'en faire une image ou même une « chose ». Il fait remarquer l'intérêt de certains philosophes pour l'intuition du silence de l'interprétation, aucune chose ne pouvant être le signe (ou l'image) d'une autre, n'étant que ce qu'elle est, ou plutôt devient. Il revient enfin à la mise en rapport de la perspective imaginative et les affections de l'angoisse, la mélancolie et la nausée afin de montrer que ces dernières relèvent parfois de l'illusion que les choses semblent, dans la mesure où elles sont prises pour des images, se répéter sans cesse. Pour l'ouïe, sensible à la singularité de ce qui passe, tout ce qui arrive est en revanche d'une surprenante nouveauté, ce qui, pour l'affirmateur de la réalité, peut se révéler être aussi une source de joie.
Dans ce livre, Clément Rosset s'entretient librement avec Santiago Espinosa sur divers sujets. Dans une première partie, comprenant cinq entretiens, Rosset raconte avec humour les trois épisodes marquants de sa vie l'ayant conduit à la réflexion philosophique. Il est ainsi question de son enfance, de son amour de la musique et de la littérature, de ses années de normalien et de son entrée à l'Université de Nice. Il y revient sur ses auteurs de prédilection, sur ses rapports avec l'Académie et avec les philosophes dont il a été le contemporain et parfois l'ami (Cioran, Deleuze, Jankélévitch, Descombes).
Dans une seconde partie, deux entretiens visent, au vu d'un certain nombre de contresens ayant été faits par des commentateurs à son égard, à clarifier et à détailler le concept-clef de sa philosophie : le double et le réel.
Il s'agit donc à la fois d'un livre biographique, où Rosset parle de lui-même, et d'un ouvrage de fond, où le lecteur trouvera, tantôt un supplément conceptuel aux livres qu'il aura lus de sa philosophie, tantôt une introduction et une invitation à leur lecture.
Ce troisième volume élargit la critique de l'expressivité, au profit de la notion d'apparence, à l'art en général, à la politique et à la philosophie.
Le livre commence par un prologue où l'on montre que la recherche, issue de la tradition herméneutique judéo-chrétienne, d'un sens dissimulé et mystérieux de la réalité s'oppose à la vision, grecque, selon laquelle la réalité est déjà elle-même sa signification.
C'est cela que désigne le terme d'apparence.
Le premier chapitre met en oeuvre la critique de l'expressivité dans l'art, pris comme moyen de communication au même titre que de dissimulation d'un sens.
Le deuxième chapitre critique la politique et la morale qui se déduisent de la perspective expressionniste.
Le dernier chapitre fait état des formes philosophiques dont la notion d'expression semble être la clef de voûte et expose à leur encontre une esquisse de philosophie des apparences.
La musique, disait Strawinsky, est inexpressive par essence. Elle n'exprime ni les idées ni les émotions humaines; elle n'exprime qu'elle-même. Le sens et la beauté de la musique sont essentiellement musicaux: ils se trouvent dans les arrangements des sons dans le temps; toute autre "signification" de la musique est extra-musicale, et par là non-musicale. Aussi ce sens et cette beauté sont-ils inhérents à l'objet musical, c'est-à-dire à un objet qui n'existe qu'au présent, dans la mobilité, l'instantané, l'éphémère. En cela la musique se rapproche de la vie et constitue ainsi un objet merveilleux permettant à l'homme de se réconcilier avec le temps, d'où ce pouvoir infaillible qu'elle a, lorsqu'on lui prête l'oreille, de susciter la joie.
De l'inexpressivité de la musique à l'inexpressivité du réel, et vice versa; de la joie musicale à la joie de vivre, et inversement.Santiago Espinosa (Mexico, 1978) est docteur en philosophie et traducteur. Ses travaux ont comme centre d'intérêt le rapport entre musique, littérature et philosophie.Clément Rosset (Carteret, 1939) a enseigné la philosophie de 1967 à 1998 à la Faculté de Nice. Oeuvres principales: La Force majeure et Le Réel et son double.
On a souvent remarqué l'influence de la philosophie de Schopenhauer sur celle de Wagner et de Nietzsche. On a moins remarqué que Wagner élabora une théorie à partir des thèses philosophiques de Schopenhauer tout en ignorant ses idées musicales.