Depuis un demi-siècle, Henri Michaux est devenu une figure essentielle de notre paysage esthétique et littéraire. À l'écart des modes et des avant-gardes, son oeuvre exerce une sorte de magnétisme. Ses intuitions fulgurantes dans les domaines les plus inattendus de la pensée, du savoir et de la sensibilité ont anticipé la fin des grandes idéologies. Le culte dont il fait aujourd'hui l'objet ne le cède sans doute qu'à celui de Rimbaud, mais avec des effets tout aussi réducteurs. Michaux secret, Michaux barbare, Michaux halluciné.L'auteur d'Un certain Plume s'est, il est vrai, dérobé à la publicité et aux honneurs. À la fois présent et caché dans ses textes comme dans ses peintures, il était réfractaire à la biographie.Michaux, pourtant, ne fut pas sans corps, sans famille, sans histoire. «Moi je veux voir et vivre», disait-il, jeune homme. Jusqu'à sa mort, à l'âge de quatre-vingt-cinq ans, il prit mille fois le bateau et le train, migra d'hôtel en hôtel, aima plusieurs femmes, noua de profondes amitiés, scruta les foules, les animaux et les arbres. C'est avec une curiosité intense qu'en lui le peintre et l'écrivain ne cessèrent d'observer le monde.Parti sur ses traces, Jean-Pierre Martin a enquêté, interrogé des témoins, consulté archives et correspondances inédites. Jetant une lumière nouvelle sur l'oeuvre de Michaux, sur ses paysages et ses hantises, cette biographie, la première qui lui soit consacrée, est un essai de réincarnation.
«Il m'était apparu que la losophie prenait sa source chez Queneau comme chez moi dans une adolescence chaste, d'origine provinciale, à la recherche d'un impossible système pour contenir le monde, déçue dans sa quête du savoir absolu.
Il y avait eu une invention qui était sienne, cela, je ne le contestais pas, il en avait même énoncé un des principes premiers ("Quand je me mets à penser, je ne m'en sors plus"), mais pour cette invention en quelque sorte instinctive, pour cette discipline nouvelle, cette forme de sagesse qui, n'étant ni tout à fait de la littérature ni tout à fait de la philosophie, jouissait du meilleur des deux, il n'avait pas trouvé de nom.
La losophie permettait au passage de réunir les Queneau qu'on a tendance à opposer, et de lui recoudre son habit d'Arlequin. Elle réconciliait le linguiste et le philosophe, le gnostique et le pataphysicien, le croyant épris de sainteté et le poète drolatique pas très catholique.
Les études de philosophie sont des sortes de classes préparatoires à la losophie, à condition qu'entre-temps on ait éprouvé une petite nausée passagère mais salutaire à l'égard de la raideur du concept, et qu'on ait un tant soit peu accédé à la fraîcheur d'exister.» Jean-Pierre Martin.
Sur un fond de silence et de solitude, on perçoit le bruissement de la mer. La ferme est seule en contrebas, plus seule encore que je ne l'imaginais d'après les lettres et les descriptions.
Maintenant que je tiens Barnhill sous mes yeux, maintenant que je peux contempler ce paysage, cet océan, que je devine le jardin désormais abandonné, que j'aperçois des restes du verger, maintenant que je peux imaginer l'homme oscillant entre la main à plume et la main à charrue, entre la chambre où s'invente Big Brother et cette vie du dehors livrée aux éléments, à l'écart de l'Histoire, je ne vois pas davantage de raison majeure, de raison tout court qui l'emporterait, qui puisse justifier cette fugue, mis à part ce qui dépasse la raison, une pulsion profonde, une intériorité exigeante, radicale, propulsant assez loin de ce que l'on croit être soi, de la figure de soi que les circonstances ont façonnée, et de ce que l'on passe pour être au regard des autres.
Le narrateur de ce récit se trouve à un moment de l'existence qui ne semble plus rien exiger de lui. Voici qu'une rencontre amoureuse le bouleverse. C'est une jeune femme, Eva.
L'événement le surprend d'autant plus que jusque-là, il avait une nette tendance à préférer les femmes mûres. Il est partagé entre l'exaltation et l'effroi. Eva n'est-elle pas victime d'un mirage ? Ne va-t-il pas lui apparaître bientôt pour ce qu'il est ?
Il est prêt à s'abandonner. Il renaît. La sensation est merveilleuse. En même temps une angoisse l'assaille, vertigineuse. Il perçoit plus que jamais le sablier.
De son côté, elle semble l'aimer sans arrière-pensée, le lui dit, le lui montre. Elle ne paraît aucunement se soucier, elle, de la différence d'âge. Elle lui communique sa sérénité.
Un nouvel avenir possible s'est ouvert devant lui.
Cependant, il ne peut s'empêcher d'oublier tout à fait le regard des autres. Comment un homme vieillissant et une jeune femme peuvent-il se sentir en aussi parfaite connivence ? Leur relation inquiète la norme. On ne cesse de lui rappeler la fatalité de son âge.
Lorsqu'on fait, à l'automne de sa vie, l'épreuve exaltante d'un dernier amour, cette situation met en jeu des sensations intenses. Le narrateur nous dit, avec profondeur et drôlerie, les affres de ses méditations, sans doute pour s'en délivrer. Il nous fait part de ses extases, des moments sublimes d'une vie nouvelle. Il n'aura jamais fini d'accomplir son éducation sentimentale.
Or un nouvel événement inattendu va encore bouleverser la donne.