Trois crimes rituels, publié en 1962, est l'un des livres les plus brefs, mais aussi l'un des plus étonnants que Marcel Jouhandeau ait écrits. Il y livre ses réflexions sur trois procès célèbres qui firent la une de la presse à scandale des années cinquante.
1954 : Denise Labbé, secrétaire et mère d'une petite fille de deux ans rencontre Jacques Algarron dont elle tombe éperdument amoureuse. Ce dernier, jaloux et manipulateur, persuade Denise, dans le but de sublimer et glorifier leur amour, de sacrifier sa fille. Denise, sous son emprise, et par peur de perdre son amant, s'exécute. Après trois tentatives ratées, elle noie son enfant dans une lessiveuse, le 6 novembre 1954.
1956 : le curé de la ville d'Uruffe abat sa maîtresse d'un coup de revolver, non sans lui avoir donné l'absolution, lui ouvre le ventre, baptise l'enfant qu'elle portait et le tue puis le défigure afin qu'on ne reconnaisse pas qu'il en est le père.
1957 : A Choisy-le-Roi, Simone Deschamps, une femme falote, pratiquante, est séduite par le docteur Évenou dont elle devient la maîtresse. Sous l'impulsion de celui-ci, nue sous un manteau d'écarlate, elle assassine la femme de son amant, qui n'avait d'autre but que de se débarrasser de son épouse en séduisant Simone Deschamps.
Marcel Jouhandeau voit dans ces trois crimes bien plus que les faits divers qu'ils représentent : ce sont pour lui des actes de magie, des manifestations presque pures dans leur horreur, de l'esprit du mal : "Tout le mystère de la responsabilité est là. Ce que Simone Deschamps a fait n'était vraisemblablement pas dans sa ligne. Ce qu'elle a fait n'est pas tout à fait d'elle, ce qu'elle a osé ne lui appartient pas en propre. Ainsi, une part de notre destin ne nous appartiendrait pas".
Premier volume du Mémorial, ensemble de sept volumes que Marcel Jouhandeau a consacré à sa jeunesse, Le livre de mon père et de ma mère est centré sur les figures parentales à travers l'ambiance si particulière d'une enfance dans la boucherie familiale. D'abord le père, certes « beau jeune homme au profil d'archange », mais parfois violent et par-dessus tout volage. Puis la mère, sensible et pieuse, mais terriblement près de ses sous. Entre eux, l'enfant qui, dans ce couple mal assorti, va très tôt et une fois pour toute choisir son camp : « En déclarant la guerre au père, on prend surtout fait et cause pour la mère, dont la part est les larmes. On prend parti pour les larmes et qu'y a-t-il de plus romanesque, de plus chevaleresque, quelle attitude est plus propre à séduire un jeune homme que d'envelopper de son bras déjà protecteur, de prendre sous sa garde généreuse, ostensiblement, tendrement, non sans danger, quelquefois avec insolence et jusqu'à la provocation, en face du mari qui la trompe et la brutalise, une femme et sa mère ? »
"l'amour n'est qu'une occasion pour un orage d'éclater: ivre et inassouvi, on n'étreint jamais que l'ombre de ce qu'on croit tenir: aussi, peu importe le simulacre, pourvu qu'on lui donne les noms les plus doux tour à tour ou les plus cruels ".
"il suffit de ne pas oublier que chacun est seul avec son désir, dont l'objet est inaccessible. caresse au moins ta chimère, sans le secours de personne; elle n'est qu'en toi".
Ces lignes donnent le ton d'une chronique amoureuse que jouhandeau avait d'abord publiée dans une édition confidentielle, en 1938. il fallut attendre 1964 pour qu'il la laisse paraître en édition courante.
Plus que jamais, dans ce livre, il se montre un écrivain de la passion.
Son écriture a l'élégance de la glace et du feu; impatience, cynisme, tendresse, violence, profondeur, humour: ces divers états d'âme se fondent en un seul, miracle d'une éternelle adolescence du coeur et du corps.
Les courts tableaux de Prudence Haute-chaume, o se joue chaque fois un destin, empruntent leurs moyens au mystre comme l'enluminure. Ce sont autant d'approches amoureuses et patientes d'un tre. Pour chacun de ces portraits, l'crivain trouve, en peintre cruel et raffin de l'humanit qu'il est, la diffrence irrductible qui va lui donner nom et visage.
Une femme, si belle et si amoureuse soit-elle, peut-elle sauver un homme qui aspire à la passion dans tous ses états, ne se grandit qu'en affrontant la tentation et avoue "tant de respect et d'ambition" pour son péchéoe Dans {les Argonautes}, sous le ciel d'Italie, Jouhandeau tend des lignes étincelantes entre le Ciel et l'Enfer...
" aucune des femmes qui l'avaient tenu dans leurs bras ne lui avait donné plus douce et plus violente, plus entière jouissance de soi-même que celle-ci agenouillée toujours à la même distance, ou assise à deux pas de lui sur sa chaise légère de roseau.
M. godeau qui avait toujours eu peur de perdre son temps auprès de véronique, parce qu'il ne soupçonnait pas le plaisir qu'elle lui donnerait avant le soir, finissait toujours par reconnaître qu'elle lui avait donné à la fin un plaisir aigu, vif, rare et qu'il n'y avait qu'avec elle que le temps ne fût pas perdu, puisqu'elle en faisait une sorte d'éternité.
{Elise architecte }(1951) est une chronique maritale où, souveraine, la femme se fait tour à tour jardinière, décoratrice, "romancière de l'ameublement". Devant ce déferlement d'activités, l'homme n'a plus qu'à bien se tenir... C'est probablement autobiographique, comme {l'Incroyable Journée, }récit d'un samedi soir où l'auteur fit coup sur coup trois rencontres bien extraordinaires...
Marcel Jouhandeau a quitté Guéret en 1908 pour s'installer à Paris où sa mère lui écrit presque chaque jour : pendant vingt-huit ans, jusqu'à sa mort survenue en 1936. Que trouvera-t-on dans les pages de ce journal inimitable d'une commerçante dont le mari était boucher dans l'un des plus petits chefs-lieux de France ? La préface émouvante de Jouhandeau nous le dit : «La courbe journalière la plus fidèle des battements d'un coeur de mère enregistre minutieusement un à un une sorte de chronique familiale et provinciale, comme il n'en existe pas d'autre. On surprend à chaque heure du jour dans la maison les gestes familiers de gens que l'on connaît bien ; leurs rapports avec le linge ; celui des confitures et de la mort sont notés et sans aucun souci de paraphrase, parce que c'est ainsi, la vie. On y assiste aux émois de la petite cité : une femme vient de mourir en pleine rue, appuyée à l'épaule de mon père ; un incendie a dérangé le sommeil de ce peuple paisible ; un mariage va traverser la cour de la mairie et tout le monde se jette aux fenêtres pour voir le cortège ; vous êtes bien tranquille chez vous, une voix de la rue vous appelle, celle d'une des femmes chargées d'annoncer un enterrement. Les dimanches et leur mélancolie y sont vécus sous nos yeux, chacun pendant près de trente ans, sans changer rien à leurs rites, à leur cérémonial rigoureux et cependant aucun n'est semblable à un autre.»
Les deux consolations de l'existence de Jouhandeau assombrie par le difficile caractère d'Élise, l'éloignement de Céline, lui viennent de son ami Jean-Claude et du petit Marc. Le petit garçon estropié, soigné à l'hôpital, reste son principal souci. Si Jean-Claude qu'il aime avec intensité comme s'il était un pur esprit est son second soleil, la lumière lui est donnée par le sourire de Marc souffrant sur son lit. La science et l'élégance de l'amour permettent à Jouhandeau d'accéder à la vraie possession qui est celle de la permanence du désir.