La musique contemporaine passe pour être compliquée, peu harmonieuse, hermétique pour qui n'en connaît pas les codes.
En deux mots, élitiste et prétentieuse.
Pourtant il existe un autre xxe siècle musical qui laisse place au plaisir et à l'émotion. C'est celui d'une musique qui repose sur un artisanat raffiné, rejette l'exigence de pureté de modernistes épris de théorie et refuse de se plier à des règles abstraites.
Karol Beffa, l'un des plus grands compositeurs français vivants, dévoile dans ce livre son panthéon personnel où se côtoient entre autres Maurice Ravel, Richard Strauss, Gabriel Fauré, Claude Debussy, Nadia Boulanger, Francis Poulenc, Steve Reich, John Adams ou Vladimir Cosma...
Des morceaux tellement entendus qu'on ne les connaît plus (comme le Boléro) aux musiques de film en passant par les facéties des minimalistes américains, Karol Beffa nous fait découvrir dans un langage simple et tout en sensibilité son autre xxe siècle musical.
« L'opéra dépend de facteurs étrangers à la musique et au livret, comme les choix du metteur en scène, du décorateur, des interprètes. C'est donc pour un compositeur le genre le plus écrasant en termes d'énergie dépensée pour l'écrire et le plus aléatoire quant au succès qu'il aura lors de sa représentation ».
Karol Beffa retrace ici rapidement son itinéraire, depuis l'enfance et ses influences, les années de conservatoire, les premières compositions jusqu'à l'écriture de deux opéras : K ou la piste du château et Equinoxe inspirés de l'oeuvre de Kafka.
Chose faite, il consacre l'essentiel de cet essai à analyser selon des angles totalement inédits des oeuvres emblématiques ou moins connues. L'opéra, pour de nombreuses raisons est considéré comme un art mimétique. Le livret exerce sur la musique un empire supposé absolu et paraît brider la liberté musicale au profit d'une expressivité immédiatement rattachée à des émotions connues et codifiées. Qu'en est-il exactement ?
Le résultat est passionnant : ce que montre Karol Beffa, aussi bien chez Verdi (La traviata, Aida), Ravel (L'enfant et les sortilèges), Strauss (Elektra), Puccini (La Fanciulla del West), Zemlinsky (Une tragédie florentine, Le nain), Ponchielli (La Gioconda) ou l'injustement oublié Massenet (Le cid, Cendrillon) c'est leur commune capacité à débrider, à remettre en cause des principes établis, à subvertir des codes, à produire des désajustements dramaturgiques ou musicaux.
De la même façon, l'auteur démontre, en croisant leurs trajectoires, comment Wagner et son beau-père Franz Liszt, Ligeti et Mahler, Gorecki et Penderecki ont affirmé leur capacité à aller contre - quitte à forcer le passage, en écrivant des opéras et, plus largement, des oeuvres vocales. Des couples improbables dont la réunion inédite fait saillir ici l'incroyable liberté.
L'art meurt du commentaire sur l'art. Le commentaire envahit tout - souvent, hélas, au détriment de l'oeuvre. Censée se suffire à elle-même, elle ne s'apprécie plus qu'assortie d'un discours. Pire : d'accessoire, le commentaire est devenu central - comme le pilier d'un art qui peinerait désormais à tenir debout tout seul ou qui, faute d'émouvoir, exigerait pour être senti filtres, écrans, médiations.
" "En même temps que je commençais à m'imaginer en compositeur, je décidais de devenir musicologue". Jamais je n'aurais pensé qu'il soit possible de dissocier composition et théorie musicale, recherche et création. Inversement, il m'était difficile d'imaginer devenir un compositeur qui ne soit pas aussi un praticien, c'est-à-dire un transmetteur : instrumentiste, mais aussi accompagnateur, improvisateur et, bien entendu, enseignant.
Mon parcours ne s'est pas présenté à moi comme un effort pour affranchir, puis concilier des disciplines ou des domaines dont le cloisonnement m'étouffait. Je l'ai vécu intimement comme le déploiement naturel, logique et nécessaire d'une conception personnelle de la musique, élaborée dans un va-et-vient incessant et fécond entre la solitude du chercheur ou du compositeur et le partage avec les publics académiques ou mélomanes, ainsi qu'avec les autres arts, en particulier la littérature et le cinéma.
"
Ligeti refusait de parler de sa vie privée, évitait les questions personnelles, égarant ses interlocuteurs sur de fausses pistes avec sa malice et son génie de la mystification. Karol Beffa l'a suivi pas à pas depuis sa naissance dans la Transylvanie de l'entre-deuxguerres jusqu'à sa mort à Vienne et passe en revue les trois périodes stylistiques qu'on distingue dans son oeuvre, liées aux événements majeurs jalonnant son parcours.
Compositeur, pianiste et musicologue, Karol Beffa, auteur de près d'une centaine d'opus, élu « meilleur compositeur » aux Victoires de la musique (2013) et Grand Prix Lycéen des Compositeurs (2016), est un acteur incontournable de la scène musicale contemporaine. Né en 1973, il a mené parallèlement études générales et musicales, après avoir été enfant acteur dans une quinzaine de films. C'est à cette personnalité hors normes que le Collège de France a confié la chaire annuelle de création artistique en 2012-2013. Ce livre est le fruit des cours qu'il y a assurés.
Karol Beffa conduit son lecteur dans l'atelier du créateur et réussit à lui faire comprendre de l'intérieur non seulement ses propres oeuvres mais aussi celles des autres compositeurs : « Peut-être est-ce là le moyen d'approcher le secret de grands compositeurs [...] qui ont su, chacun à sa façon, évoquer leur propre musique et celle d'autrui dans un discours souvent simple et sans excès de références techniques. Ce secret, me semble-t-il, tient à une approche où domine l'intuition. Chez ces grands compositeurs, elle fleurit bien sûr sur tout un terreau de culture musicale, de maîtrise technique, d'expérience créatrice. Ici, à mon échelle, j'aimerais regarder la musique d'un oeil aussi neuf et sagace que ces géants, avec l'intuition pour guide. En espérant qu'elle serve aussi de guide à tous les curieux de musique. »
«Je voudrais dire avec la musique ce que vous dites avec des mots quand vous êtes devant un arbre, par exemple. Je pense et je sens en musique et je voudrais penser et sentir les mêmes choses que vous». Maurice Ravel à Jules Renard D'abord la musique, ensuite les paroles ? Plutôt que de rouvrir la dispute, largement résolue par les grands maîtres, Karol Beffa déplace le problème, apprenant de ses prédécesseurs l'art de ruser avec la norme. Il revisite l'opéra en tant qu'auditeur et spectateur mais aussi avec ses interrogations de compositeur. En sa compagnie, on redécouvre Verdi (La traviata, Aïda), Ravel (L'enfant et les sortilèges), Strauss (Elektra), Puccini (La fanciulla del West), Zemlinsky (Une tragédie florentine, Le nain), Ponchielli (Lagioconda) ou l'injustement oublié Massenet (Le cid, Cendrillon). Karol Beffa compare également les trajectoires de Wagner et Liszt, Ligeti et Mahler, Górecki et Penderecki pour apprendre d'eux leurs secrets de fabrique dans le traitement de la voix. Karol Beffa, né en 1973, mène à la fois une carrière de compositeur, d'improvisateur et de musicologue. Il a cosigné avec Cédric Villani, Les coulisses de la création (Flammarion, 2015) et a notamment publié, chez Fayard, une biographie de György Ligeti qui fait référence.