" il est d'une importance qui dépasse de loin les effets immédiats que l'opposition de la jeunesse contre la "société d'abondance" lie rébellion instinctuelle et rébellion politique.
La lutte contre le système, qui n'est portée par aucun mouvement de masse, qui n'est impulsée par aucune organisation effective, qui n'est guidée par aucune théorie positive, gagne dans cette liaison une dimension profonde qui compensera peut-être un jour le caractère diffus et la faiblesse numérique de cette opposition. "
La libre satisfaction des besoins instinctuels de l'homme est-elle compatible avec l'existence d'une société civilisée ? C'est à cette question qu'essaie de répondre la présente étude. Prolongeant la pensée de Hegel, de Marx et de Freud, ce livre ne révèle ni de la psychologie des profondeurs, ni de la philosophie, ni de l'anthropologie, ni de l'interprétation des mythes, ni de la sociologie des systèmes culturels ; il est pourtant tout cela à la fois. La thèse de Freud, selon laquelle le bonheur n'est pas une valeur culturelle, est radicalement mise en question. Le pessimisme freudien, lié à la structure de la société répressive, est situé dans son contexte historique, et l'auteur montre qu'une civilisation est finalement possible qui ne serait pas payée au prix d'une restriction quasi totale de la vie instinctuelle. L'ouvrage de Herbert Marcuse offre la première synthèse entre psychanalyse théorique et marxisme ouvert.
Nous sommes engagés dans un progrès technique, mais il ne s'agit que d'un progrès quantitatif, d'une croissance quantitative, d'un développement quantitatif. Il n'y a pas de saut qualitatif, de changement qualitatif. Dans notre société qui semble exclure toute alternative essentielle, on s'efforce de réaliser une mise au pas plus ou moins parfaite de l'opposition, une assurance contre tout changement radical des formes de l'existence, l'intégration des contraires, qui demeurent encore au sein de cette société. Et tout ceci se passe dans une dimension en profondeur, où même la structure instinctuelle de l'individu est socialement modifiée et manipulée. Cette société fermée est en même temps une société totale. Le progrès, la croissance et la richesse reproduisent la dépendance de l'homme vis-à-vis de l'appareil. Le rationalisme technologique est utilisé comme moyen de domination, c'est-à-dire comme moyen de conserver des formes d'existence données, mais surannées. La productivité croissante dont la société est capable n'est pas utilisée pour l'apaisement de la lutte pour l'existence, mais pour son intensification et pour sa perpétuation. Sommes-nous déjà des hommes ?
Ce recueil de trois conférences sur la crise présente, données en 1974-1976, ramasse en un raccourci saisissant l'ensemble des thèmes et des instruments d'analyse élaborés par Herbert Marcuse dans son oeuvre antérieure. Au centre de ces trois essais, on trouvera l'insistance sur la nécessaire libération des besoins réprimés en même temps que sur la nécessaire critique politique de l'ordre établi.
Sans critique politique, la libération des besoins n'est que marginalisme contre-culturel. Sans subversion du système des besoins, la critique politique appelle seulement à remplacer une domination par une autre.
« La tolérance est passée d'un état actif à un état passif, de la pratique à la non-pratique : laissez-faire les autorités constituées ! Ce sont les gens qui tolèrent le gouvernement qui, à son tour, tolère une opposition dans le cadre déterminé par les autorités constituées. La tolérance vis-à-vis de ce qui est radicalement mauvais semble bonne parce qu'elle sert la cohésion du tout qui est en route vers l'abondance ou vers plus d'abondance. Le fait qu'on tolère la crétinisation systématique aussi bien des enfants que des adultes par la publicité et la propagande, la libération des pulsions destructrices au volant dans un style de conduite agressif, le recrutement et l'entraînement de forces spéciales, la tolérance impuissante et bienveillante vis-à-vis de l'immense déception que suscitent le marchandisage, le gaspillage et l'obsolescence planifiée toutes ces choses ne sont pas des distorsions ou des aberrations, elles sont l'essence d un système qui n'encourage la tolérance que comme un moyen de perpétuer la lutte pour l'existence et de réprimer les alternatives. » En écrivant « Tolérance répressive » en 1964, Herbert Marcuse bouleverse la philosophie en général et la théorie critique en particulier.