Dans son essai, Jens Christian Grøndahl déclare : « À l'origine, l'Europe n'est pas un lieu, elle doit être un lieu de rencontre. Une rencontre qui se produit partout où les contradictions s'éclairent mutuellement, sans l'illusion de fusionner un jour. » Cette diversité peut aussi bien tendre vers l'humanisme que la barbarie, et personne ne peut douter aujourd'hui que l'Europe prend des directions parfois inquiétantes. Dans ce livre, Grøndahl part d'expériences concrètes, entre la province danoise et l'Europe, en particulier l'Italie où il réside un temps, pour aller au général. En mêlant à sa réflexion Ole Wivel et Karen Blixen, Schiller et Kant, Sartre et Camus, Jens Christian Grøndahl en profite pour interroger avec finesse ce que peut recouvrir l'idée de « l'écrivain responsable », car ce qui sous-tend une partie de l'ouvrage, c'est bien l'affirmation que « le sentiment de culpabilité n'a pas de date de péremption. »
Irene Beckman est une femme comblée. Une belle carrière d'avocate, un mariage heureux, deux enfants et une villa dans les beaux quartiers de Copenhague. À cinquante-six ans la vie semble lui sourire. Mais un soir, elle tombe sur une conversation enregistrée par erreur sur son répondeur téléphonique et apprend que son mari lui est infidèle. Au même moment, sa mère - qui doit subir une intervention chirurgicale dont l'anesthésie générale n'est pas sans risque - lui remet une enveloppe en lui demandant de l'ouvrir seulement après sa mort. Irene, aux prises avec elle-même depuis la séparation d'avec son mari, ne respecte pas cette injonction. Elle découvre alors, dans un cahier écrit en 1948, une brève confession de sa mère et le prénom d'un homme, Samuel, qui serait son vrai père...
Le narrateur, écrivain, part à la recherche d'une certaine Elena, une jeune Roumaine qui a été la maîtresse de son beau-père, Scott. C'était un peu avant la chute du mur, quand la Roumanie était encore écrasée par la dictature de Ceausescu. Elena avait suivi cet Américain, ancien déserteur du Vietnam, installé depuis longtemps au Danemark. Elle était restée un peu, avant de repartir, cette fois vers l'Italie, ne laissant à Scott qu'un bout mal découpé d'une histoire d'amour un peu triste...
Plusieurs années ont passées, quand le narrateur entreprend de la retrouver. Un peu pour Scott, un peu pour lui. D'Elena, il veut le fin mot de l'histoire, ou plutôt son commencement, sa cause finale, son trajet. Il l'aura, comme il aura l'Europe des dernières années du communisme, le combat pour la liberté de ceux qui n'ont pas idée de ce à quoi elle ressemble vraiment, un peu de sa propre réalité, aussi. Il aura tout cela et il n'aura rien, comme il en conviendra en évoquant Scott et Elena :" Il y a des choses que je ne leur ai pas demandé, mais certaines questions sont aussi trop anciennes pour qu'il y soit apporté de réponse. "
Pendant que j'écrivais, la fin de l'été est arrivée. La lumière a pris un éclat tamisé comme celui du cuivre, la bruyère s'est épanouie sur la lande et les dunes autour de Skagen. Des îlots de violet dans les élymes des sables, sous le vaste ciel vide. Ma fille la plus jeune, un an et demi, a commencé à parler pour de bon, sa grande soeur, elle, a commencé à répondre, et elles ne rentrent plus dans leurs chaussures d'hiver. Tout change, de manière imperceptible la plupart du temps, comme les dunes qui se déplacent de quelques mètres chaque année, d'une mer vers l'autre. Et puis, il y a le changement brusque et inattendu qui, d'un coup, rompt le lien entre le présent et ce que nous avons derrière nous.
Nous sommes en 1977. Un jeune homme, occupant un job d'étudiant au guichet des renseignements de la gare centrale de Copenhague, croise le chemin d'une jeune femme de retour d'Allemagne. Il accepte de l'héberger quelques jours, avant de découvrir qu'elle lui a donné un faux nom - elle s'appelle Sonja, et non pas Randi. Puis, après la disparition de la jeune femme, il trouve un sac plastique rempli de billets de banque.
Quinze ans plus tard, il revoit Sonja dans la rue, la suit, puis prend contact avec elle. Sonja accepte alors de lui raconter son histoire. Issue d'un milieu modeste, elle part travailler comme jeune fille au pair à Francfort, en Allemagne. Elle y rencontre Thorwald, qui la fascine, et qui l'introduit dans un groupuscule d'extrême gauche dirigé par une certaine Angela. Bien que dénuée de toute conscience politique, Sonja participe alors à quelques activités du groupe, sans véritablement réaliser ce qu'elle fait. Puis, rentrée au Danemark, elle cherche à oublier, se marie, et mène une vie bourgeoise. Mais lorsqu'elle apprend par les journaux que Thorwald et Angela ont été extradés de Syrie et qu'un procès aura lieu en Allemagne, elle ne peut plus éviter la question de sa propre responsabilité, voire de sa culpabilité.
Les Mains rouges confirme le grand talent de Jens Christian Grøndahl, passé maître dans l'évocation des existences au carrefour de la grande et de la petite histoire.
Un historien de l'art parvient à un tournant de son existence quand Astrid, son épouse, part soudain, après dix-huit ans de vie commune.
Cet événement déclenche alors un flot de souvenirs et de réflexions prenant la forme d'un " récit complexe où le temps et les lieux se déplacent en méandres indociles ". Un amour de jeunesse sans issue, la rencontre d'Astrid, le mariage et les enfants, la vie mondaine dans la bourgeoisie intellectuelle de Copenhague, les voyages à Paris, Lisbonne et New York. Comment cette vie s'est-elle dessinée ? " Je dois tout réinventer, tout en sachant bien que je risque ainsi de recouvrir le peu que j'aurais peut-être mis au jour pendant ce temps.
Tout en brodant mon histoire, je me rends compte à quel point une vie reste pleine d'ombres et de silences. Comment prend-elle forme ? Pourquoi a-t-elle pris cette direction-là, cette direction décisive ? "
Deux amis d'enfance, l'un à Copenhague, l'autre à New York.
Une lettre qui arrive après la mort de son expéditeur. Une femme, soeur de l'un et maîtresse de l'autre. Des estampes japonaises, un hôtel de passe, une grande demeure bourgeoise. Comment comprendre la vie d'Adrian, terrassé par une crise cardiaque à quarante ans à peine, à partir de ces quelques éléments, comment renouer les fils épars de l'histoire de leur amitié ? C'est à ces questions que le narrateur de Bruits du coeur, dont nous ne saurons jamais le nom, essaie de répondre, en remontant le cours de leurs deux vies étroitement liées.
Il revient sur leur enfance, leurs échecs sentimentaux, leurs choix professionnels, cette envie d'être à la place de l'autre. Mais avant tout, il cherche à comprendre les mouvements du coeur et du désir qui ont donné à la vie d'Adrian et à la sienne ces contours parfois chaotiques. Dans un roman très dense, où de multiples intrigues s'enchâssent les unes dans les autres, Jens Christian Grondahl, avec une immense tendresse pour ses personnages, écoute attentivement ces " bruits du coeur " - toutes les facettes de l'amour humain - et nous offre une lecture riche d'interrogations et d'une grande subtilité.