Arnold Gehlen (1904-1976) est l'un des protagonistes majeurs, à côté de Max Scheler et de Helmuth Plessner, de l'anthropologie philosophique, vaste courant encore méconnu qui a traversé le XXe siècle en dialoguant avec la plupart des écoles philosophiques et sociologiques allemandes, de la phénoménologie à l'école de Francfort.
Son maître-ouvrage L'Homme, paru en 1940, est considéré comme l'un des trois livres fondateurs de ce courant, à côté de La Situation de l'homme dans l'univers, de Scheler (1928) et des Degrés de l'organique et l'Homme, de Plessner (1928). Il interroge la place spécifique de l'homme comme organisme vivant dans la nature, selon une approche qui croise les sciences de son temps, la tradition philosophique de l'idéalisme allemand et le pragmatisme américain. Le concept de l'homme comme «être déficient», biologiquement inadapté, met en relief sa constitution physique particulière, ouverte au monde, par contraste avec la morphologie de l'animal, corrélée à son milieu naturel. L'homme, cet orphelin de la nature, survit en compensant ses déficiences biologiques initiales par l'action, laquelle lui permet d'élaborer une «nature artificielle».
Cette anthropologie de l'action débouche sur une théorie des institutions que Gehlen allait développer par la suite et dont il propose une première esquisse dans ce livre.
Arnold Gehlen (1904-1976) est l'un des principaux représentants de l'anthropologie philosophique allemande apparue au début du XXe siècle.
Le premier article de ce recueil la définit comme la science de l'être humain, de concert avec la morphologie, la physiologie, la psychologie, la linguistique, la sociologie, etc. Science philosophique systématique et interdisciplinaire, elle est fondée sur des hypothèses exemptes de toute métaphysique ". L'homme. Sa nature et sa position dans le monde (1940) présente les plus fondamentales. Deux articles publiés en 1951 et en 1968 leur ajoutent des éléments du pragmatisme anglo-américain et des éléments de la psychanalyse freudienne.
L'idée essentielle de Gehlen est que " l'action et les transformations prévues du monde, dont la quintessence porte le nom de "culture", font partie de l"essence" de l'être humain, et [que], à partir du point d'approche que constitue l'action, on peut en construire une science globale ". Influencé par Kant, Herder et Fichte, mettant ses pas dans ceux de Jakob von Uexküll et de Konrad Lorenz, l'homme est selon lui une créature qui se maintient en vie par la transformation et l'amélioration permanente des données de la nature.
Sa défectuosité biologique est compensée par l'invention technique. Dépourvu de " niche écologique ", il s'adapte à tous les milieux, il est capable en dépit d'une pression intérieure immédiate d'ajourner son action; cette espèce d'hiatus lui permet de la planifier, d'anticiper l'avenir. Ces thèses ont nourri la réflexion de Jürgen Habermas, Hans Blumenberg, Ernst Tugendhat, Theodor Adorno. Mais elles n'ont guère retenu l'attention de la France.
Son indifférence à l'oeuvre d'Arnold Gehlen s'explique en partie par le fait qu'il a adhéré dès 1933 au Parti national-socialiste et que, jusqu'à sa mort, ses positions ont été très réactionnaires mais aussi par son désintérêt traditionnel pour l'anthropologie philosophique en général. Quand les pollutions, le dérèglement climatique, etc., menacent l'avenir de l'humanité, mais quand aussi s'expriment partout le souci de sa préservation, alors il est temps de découvrir l'anthropologie d'Arnold Gehlen.