« Effrayable ». Avons-nous bien lu ? S'agit-il d'une faute typographique ou d'un mot forgé par une contraction de la langue, « Effroi - effrayer » ? Nous sommes au coeur du sujet de ce livre étrange et bouleversant. Qui parle et maltraite la langue de cette façon ? Une petite fille ou un monstre enfanté par un drame ancien ? Dans la chambre d'asile où le narrateur bicéphale est enfermé (Karminol/Angélique), se dévide l'histoire qui a engendré la folie de son dédoublement. « J'écrisse de l'intérieur de la grassouillette larme que je suis devenussée, moi petite fille que j'ai eu-t-été. » Il faut remonter aux grands-parents, dans les années trente, en Allemagne, pour comprendre l'origine du choc « effrayable » qui a figé la vie du narrateur. Meurtres, viols, exactions continuent de semer la mort longtemps après avoir été commis et longtemps après la disparition de ceux qui en ont été les auteurs. Le docteur peut-il comprendre les violences innommables que le récit révèle sinon, comme le lecteur hypnotisé, en tentant de déchiffrer la langue torturée dont use son patient, où s'inscrivent les blessures, les déformations comme les marques indélébiles d'un traumatisme indépassable.
Andréas Becker réussit dans ce premier roman le véritable tour de force de nous faire vivre la folie de l'intérieur d'un être et de la traduire dans la facture même du récit. Dédoublement du narrateur, déformations de la langue participent de la progressive compréhension de l'histoire dont la tragédie se découvre à travers les séquelles qu'elle a laissées dans l'esprit de celui qui nous la raconte. Que nous soyons dans la vérité des faits ou dans une construction fantasmée importe peu, le réel est dans la tête du malade qui nous narre des événements survenus bien avant sa naissance, lesquels ont produit « l'effrayable » tranquillité du choc.
Lentement, une femme s'eace devant le monde. Autour d'elle, les silences, les absences, une clarté presque insoutenable, les paysages vides du Nord de l'Allemagne. Elle s'allonge sur un canapé, chez elle, dans son salon ; seuls l'alcool et les médicaments la font encore bouger. Le médecin est formel, la mort approche par cirrhose du foie.
Andréas Becker accompagne la malade d'une langue ciselée et tendre, d'une langue qui cherche constamment à dire ce qui est encore exprimable quand la vie s'en va, mais quand l'amour se tisse. Malgré la tristesse de la mort se crée ainsi une espérance dans ce qui restera et que Becker nomme alors ça. Ça, c'est Ulla.
Gueules est un récit composé de textes et composé de photos d'origine (faites en 1916 à l'hôpital de Dresde et miraculeusement préservées).
L'une des gueules, Charles de Blanchemarie, présente ses « colocataires » d'un hôpital où ces grands blessés sont soignés par une infirmière qui prend les soins très à corps. Naissent alors, au-delà de la solidarité de blessés, amitié, amour et tendresse dans un endroit où l'on ne s'attend qu'à abrutissement.
Puisqu'avec des gueules abîmées il n'est plus possible de s'exprimer dans un français « correct », on fait comme on peut, avec des mots inventés, abrégés ou rallongés selon les facultés physiques de chacun.
Mais l'incapacité de prononciation traduit aussi la perte de la dignité qu'ont vécue ces blessés de la face, que ce soit des mutilés de la guerre ou des accidentés d'aujourd'hui.
Elles font peur ces gueules, alors que dans Gueules, ces êtres qu'on a érigés en héros pour les éloigner le plus loin possible de la réalité (pour d'évidentes raisons de propagande en préparation de guerres futures) se montrent telles qu'elles sont, aimables parfois, espiègles, joueurs...
Tout simplement humaines.
Il y avait, à mes pieds, dans les sympathiques brumes des bas-fonds, une ville en dehors, une ville en mouvement, la belle ville grise de Paris.
Une rumeur terrible se répand. Un castrateur serait en train de sévir en démembrant, de sa bouche, des vieux hommes. L'horreur est alors palpable. Qui est cet homme qui se retranche dans une chambre d'hôtel, pas loin de la gare du Nord ? Et pourquoi chasset-il sans cesse ?
La Castration est une folle épopée, nous menant du Nord de l'Allemagne et de sa culture protestante à la Capitale de la France qui est bien plus qu'un décor : un personnage à part entière. Rarement on a vu ainsi décrite la ville de Paris, ses rues, la gare et son buffet, la Seine. Toute une galerie de personnages mystérieux se regroupe autour du castrateur, mais lui n'a qu'une idée en tête : réaliser le crime ultime et éliminer la dernière de ses victimes.
Entrer dans la peau d'une femme qui trébuche sur un réel supposé, inventer son langage, traduire ses sensations physiques, ses émotions, son rapport animal, dénué de morale, primal, violent, tendre à l'autre, tel est l'enjeu de ce livre étonnant qui interpelle, heurte quelquefois, et fascine comme une part refoulée de chacun de nous. L'ordre du livre, divisé en sept tableaux, Ma Mère, Mon Père, Mon Fils, Mon I !nstI !utI !on, Mon Copain, Moi, Mon Procès, n'inclut pas Mon Amour évoqué tout au long du récit comme une porte entr'ouverte, jamais franchie, cependant. Nébuleuses nous entraîne dans un inquiétant voyage mental et nous interroge sur la nature de cette I !nstI !tutI !on dont les points d'exclamation après les I majuscules se dressent comme autant de barrières entre la narratrice et le monde qui l'entoure. Qu'est-ce que cette I !nstI !tutI !on ? Le bâtiment, le château, la prison, le labyrinthe, où celle qui dit « j'e » est définitivement recluse ? Est-ce le corps, le cerveau de celle qui balbutie, hoquette son histoire pour rester vivante ?
Un conducteur, le jeune « héros » des Invécus, déchiquète un vieil homme en train de sortir sa poubelle dans l'allée paisible d'un quartier résidentiel d'une ville sans caractère particulier. Sa vie bascule dès lors dans une forme d'irréalité. Les êtres qu'il rencontre sont-ils illusoires, morts ou vivants ? Les gestes quotidiens deviennent étranges. L'identité, incertaine. Qui suis-je ? se demande le héros. Comment je m'appelle ? Suis-je amoureux, de Malouna, de Graziella? On s'interroge, les personnages qu'il croise : Sabatò, Mantoo, Andlish, Rorkoff, Chrisztobol, Marvolain, Vertiqual ont-ils une consistance ou ne sont-ils que des projections de son imagination ? Comme dans un kaléidoscope, les personnages se superposent, les scènes se rejouent sous des angles différents : « Suis un oeuf, quelque chose comme un oeuf, peut-être sans forme distincte, pas de limite entre ce moi et le monde alentour. C'est comme si j'étais né invécu. »
Alcool mon Amour. Provocation ? Non, véritable aveu. Émotion pure. Cette immense difficulté de gérer nos émotions. Une histoire d'amour singulière se noue entre deux êtres vulnérables, alcooliques, trop sensibles. La dépendance et la maladie les empêchent d'assumer leurs sentiments et les jettent dans des aventures terribles. Pourtant, leur amour renaît, se montre fort, beau et vivant. Est-ce que ce sera suffisant pour vaincre la maladie ? Andréas Becker, accompagné d'un groupe de personnes anciennement dépendantes, donne dans ce livre une belle réponse. Préambule du Docteur Hispard, Addictologue et Pdt. de l'ACERMA.
Gueules est un récit composé de photos d'origine (faites en 1916 et miraculeusement préservées), de dessins (de l'auteur) et de textes. L'une des gueules, Charles de Blanchemarie, présente ses « colocataires » d'un hôpital où ces grands blessés sont soignés par une infirmière qui prend les soins très à corps. Naissent alors, au-delà de la solidarité de blessés, amitié, amour et tendresse dans un endroit où l'on ne s'attend qu'à abrutissement.
Puisqu'avec des gueules abîmées il n'est plus possible de s'exprimer dans un français « correct », on fait comme on peut, avec des mots inventés, abrégés ou rallongés selon les facultés physiques de chacun.
Mais l'incapacité de prononciation traduit aussi la perte de la dignité qu'ont vécue ces blessés de la face, que ce soit des mutilés de la guerre ou des accidentés d'aujourd'hui.
Elles font peur ces gueules, alors