C'est l'histoire d'une maison hantée, en plein coeur de Marseille. C'est l'histoire d'une mémoire en ruine. C'est l'histoire de l'un qui reconstruit une maison tandis que l'autre s'engouffre dans les brèches et déconstruit le présent. C'est l'histoire d'une mémoire qui revient, par les destins croisés de la narratrice et de la dernière femme qui vécut dans ce lieu plein de souvenirs. À travers la superposition d'époques, la violence fait apparaître des personnages d'exilés, de juifs, de gitans qui font resurgir un passé trop vite oublié de Marseille. Et au-delà de Marseille, de la Provence, de la Camargue. À mesure que se reconstruit la maison en ruine, c'est tout un présent qui est bouleversé : les images tremblent, les certitudes vacillent, la folie gagne.
Dans ce très beau livre, Agnès Verlet nous montre le versant noir du Midi, celui que chacun s'efforce d'occulter parce que le ciel est bleu, le soleil chaud et le parler chantant.
Une enfant parle : la neuvième d'une fratrie de dix. Elle fait partie des petits. Elle est née après la guerre. Un mystère la hante. Pourquoi, dans sa famille nombreuse, sa soeur aînée qui était la cinquième est-elle subitement devenue la sixième ? Elle ne sait pas parce qu'elle n'a jamais demandé. Et ce silence, ce non-dit, la torture. Plus âgée, elle enquête et comprend que Paul, devenu le cinquième, est un enfant adopté, qu'il est apparu dans la famille à l'âge de quatre ans, avant sa naissance à elle, pendant la guerre. Que c'est un enfant juif dont le nom a été changé, qu'il s'appelait auparavant Samuel Tanenboim et que son accueil dans sa famille, les Delorme, l'a sauvé des rafles nazies et françaises. Comme l'archéologue qui tente par l'intensité de son regard de recomposer l'image du bouclier d'Alexandre à travers les tessons dispersés devant lui, Agnès Verlet ressuscite un passé, déchiffre l'histoire en faisant resurgir les images qui vont reconstituer la béance créée par l'irruption de ce frère, venu d'ailleurs. Un livre magnifique.